Les Charter Awards de la Cimade tapent (fort) sur les doigts de l’Etat

La Cimade a organisé, pour la première fois, une remise de prix pour condamner les pratiques abusives, quand elles ne sont pas illégales, de l’État, en matière d’expulsion et d’enfermement de personnes étrangères.

Laure Hanggi  • 8 juin 2016
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Les Charter Awards de la Cimade tapent (fort) sur les doigts de l’Etat
© la Cimade.

« Honte aux nommés. » Sur les marches de la Maison des Métallos, dans le XIe arrondissement de Paris, le tapis rouge a été déroulé. Devant les portes, un homme en costume queue-de-pie accueille les arrivants. Une mise en scène en grande pompe pour une remise de prix un peu particulière. Ici, les noms des lauréats sont accueillis par les huées du public.

Aux Charter Awards, cérémonie organisée par la Cimade et ses partenaires (Médecins du Monde, Emmaüs France, Gisti et RESF) hier, mardi 7 juin, on récompense les préfectures qui se sont le plus illustrées en 2015 en matière de violation des droits des migrants.

Déjà, durant la matinée, des actions ont eu lieu dans les préfectures lauréates. A Bobigny, Bordeaux, Nantes, Toulouse, mais aussi en Guadeloupe et en Guyane, des délégations de la Cimade ont tenté de remettre en mains propres les trophées. Mais hormis à Poitiers, où le directeur de la préfecture est venu lui-même recevoir son prix, les « vainqueurs » ont fait la sourde oreille.

La condamnation par le rire

Alors, pour ne pas s’enfermer dans une ambiance trop dramatique, et surtout pour donner plus de résonance à cette action, la Cimade a fait le pari de l’humour. Pendant une heure, un duo de comédien a fait le show, prenant le parti du rire, en alternant scénettes, chant et musique. « Nous sommes ici pour récompenser la générosité de la France. […] Rien n’aurait été possible sans le soutien des préfectures », scandent-ils, en montant sur scène. Mais derrière les rires, derrière la mise en scène, c’est le procès de l’État et de ses ramifications locales qui est dressé. En témoignent les prix décernés, avec entre autres, « Je vais bien ne t’en fais pas » (expulsion et enfermement de personnes gravement malades), « 48 heures chrono » (enfermement et expulsion sans accès à la justice), « La quête du Graal » (enfermement et expulsion d’exilés en quête d’asile), ou encore « Maman j’ai raté l’avion » (séparation des familles).

À retenir, la double victoire du Pas-de-Calais. La préfecture a dominé la compétition dans les catégories « Retour en enfer » (enfermement et expulsion de ressortissants de pays en guerre) et « Tarzan, roi de la jungle », qui condamne tout particulièrement l’action de la préfecture à Calais, où 1200 personnes ont été emmenés de force et dispersés en CRA (centre de rétention administrative). « Dans la jungle, le droit est mort ce soir », chante-t-on sur scène.

Le procès de l’État

Alors, au moment des discours, on ne rigole plus. Au pupitre, ou pourrait-on presque dire à la barre, les responsables d’associations se succèdent et condamnent sans relâche les pratiques abusives et illégales des « vainqueurs ». C’est l’absurde, l’injuste, l’incompréhensible qui caractérise ces Charter Awards. « Les gens sont trop souvent considérés comme des chiffres », condamne Malika Chemmah du RESF. Pour David Rohi, président de la Commission Éloignement à la Cimade, il faut mettre fin à « la politique du chiffre, où on enferme avant de discuter » ainsi qu’aux « pratiques illégales particulièrement inventives » de l’État pour contourner la loi.

Les associations ont tout particulièrement insisté sur le sort des mineures et des enfants, souvent séparés de leurs parents. Venu remettre le prix « Péril Jeune » (enfermement et expulsion de mineurs isolés étrangers), Marianne Cabaret du RESF a dénoncé la politique de François Hollande. « C’est un prix particulier, car il concerne la jeunesse, qui était une des priorités de François Hollande. Mais de quelle jeunesse parlait-il ? Ce n’est pas la place d’un jeune d’être en centre de rétention. »

Rappelons que la France a été condamnée en 2012 par la Cour Européenne des Droits de l’Homme, pour violation du droit d’asile (plus précisément, les articles relatifs au droit à un recours effectif et à l’interdiction de la torture).

De son côté, la présidente de la Cimade, Geneviève Jacques, espère que les lauréats « ont entendu le bruit que nous faisons. (…) Les réalités que nous évoquons aujourd’hui ne sont pas du théâtre, mais des faits réels ». Tous appellent à la fermeture des centres de rétention administrative (CRA).

Espérons, avec eux, que cette première édition des Charter Awards ne sera pas amenée à se répéter les prochaines années.

Le palmarès 2015 des Charter Awards :

Je vais bien ne t’en fais pas : Préfecture de Loire-Atlantique

48 heures chrono : Préfecture de la Gironde

Fast and Furious : Préfecture de la Guadeloupe

La quête du Graal : Préfecture de la Guyane

Very Bad Trip : Préfecture de la Seine-Saint-Denis

Maman, j’ai raté l’avion : Préfecture de Haute-Garonne

Péril jeune : Préfecture de la Vienne

Nos enfants chéris : Préfecture du Doubs

Retour en enfer : Préfecture du Pas-de-Calais

Tarzan, roi de la jungle : Préfecture du Pas-de-Calais

Société
Temps de lecture : 4 minutes
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