Quand la revue du FMI enterre le « néolibéralisme »

L’institution critique l’austérité, la déréglementation de la finance, s’en prend aux critères de Maastricht et prône la redistribution des richesses.

Erwan Manac'h  • 6 juin 2016 abonné·es
Quand la revue du FMI enterre le « néolibéralisme »
© Photo : 5 avril 2016, Christine Lagarde, directrice du FMI, Angela Merkel, Chancelière allemande et Angel Gurria, secrétaire général de l’OCDE à Berlin. nJohn MACDOUGALL / AFP

Les Diafoirus néolibéraux sont habillés pour l’hiver. Et la critique qu’ils viennent de subir est d’autant plus dure qu’elle émane de leur cheptel de théoriciens. Dans un article publié début juin par la revue du Fonds monétaire international (FMI) _Finance et développement, trois économistes de l’institution taillent en brèche trois décennies de dogmes néolibéraux.

Les politiques d’austérité, les critères européens de Maastricht, les erreurs de Jean-Claude Trichet, l’ancien président de la Banque centrale européenne… Tout le monde en prend pour son grade.

« Agenda néolibéral »

La note s’en prend à la « déréglementation » des marchés financiers et à « l’ouverture sans cesse croissante aux mouvements de capitaux », imposés par « l’agenda néolibéral ». Cela a certes permis, selon les économistes, « l’expansion du commerce mondial » et la diffusion des savoir-faire à travers le monde. Mais les flux financiers à court terme, hautement spéculatifs ont provoqué « l’instabilité économique et la fréquence des crises ». Un constat « évident » selon eux :

Depuis 1980, il y a eu environ 150 épisodes de volatilité pour les flux de capitaux dans plus de cinquante économies émergentes. (…) Ces épisodes se sont terminés par des crises financières dans 20 % des cas, dont beaucoup associées à de forts épisodes récessifs.

Ce constat est inspiré par une sortie récente du directeur général adjoint du FMI, Stanley Fisher, qui a remis publiquement en doute « l’utilité des flux de capitaux à court terme », les instruments les plus spéculatifs. Sur le sujet en effet, « l’avis du FMI (…) est passé d’une hostilité initiale aux contrôles à une meilleure acceptation des contrôles pour faire face à la volatilité des flux de capitaux ». Et l’institution se félicite aujourd’hui de voir croître « la volonté de contrôle » parmi les décideurs.

Austérité : « La prudence est justifiée »

Citant de nombreuses études économiques de ces dix dernières années, ils passent également sur le gril le dogme de l’austérité et pointent les erreurs de l’ancien président de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet.

Les critères de politique économique européenne définis par le traité de Maastricht sont ainsi cités parmi les exemples de « restrictions » visant à « réduire la taille de l’État ». Une politique qui, dans les pays riches, présente un « bénéfice (…) exceptionnellement faible » malgré un « coût qui pourrait être important », taclent les trois auteurs.

« La nécessité de “l’austérité“ dans certains pays (comme ceux d’Europe du sud) ne signifie pas qu’elle soit nécessaire pour tous. Ainsi, la prudence vis-à-vis d’une politique unique est totalement justifiée», flinguent les trois spécialistes à l’intention de Bruxelles.

À contrario, le FMI préconise que les pays les plus riches « acceptent de vivre avec leur dette ». « Car les politiques d’austérité ont des coûts sociaux importants, détériorent l’emploi et aggravent le chômage. »

Le FMI apôtre de la redistribution

L’austérité relève également selon eux d’un non-sens économique. La libéralisation de la finance et l’austérité ont provoqué une « redistribution des revenus [qui] accroît sensiblement les inégalités ». Ce qui grève les perspectives de croissance future. « Les décideurs politiques devraient être plus ouverts à la redistribution qu’ils ne le sont », écrivent-ils, incitant les États à « utiliser les impôts et les dépenses publiques pour redistribuer la richesse ».

On se frotte les yeux. Mais les auteurs insistent et se montrent extrêmement clairs. « En somme, les avantages des politiques néolibérales semblent avoir été quelque peu exagérés ».

L’institution se vante enfin d’avoir été « à l’avant-garde [du] réexamen » des théories néolibérales. De telles positions, si elles n’ont jamais été exprimées de façon aussi tranchée, ne sont en effet pas totalement nouvelles. Les critiques exprimées ici apparaissent parmi les libéraux depuis plusieurs années.

Lire : Croissance : quand s’éloignent les chimères

Face aux réactions outrées au sein du conclave néolibéral, le FMI a dû corriger le tir pour tenter de préserver les apparences. « Cet article a été largement mal interprété et il ne faut pas y voir d’inflexion majeure dans la démarche du FMI », recadre son chef économiste Maury Obstfeld. L’économie mondiale peut donc poursuivre sa course folle de crise en crise.

Lire la traduction française de l’article sur le site

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