Le mirage de la concurrence

La solution à la crise du lait n’est pas du côté du productivisme.

Jérôme Gleizes  • 31 août 2016 abonné·es
Le mirage de la concurrence
En 1997, déjà, un producteur de lait haut-saunois déverse plusieurs milliers de litres de lait pour protester contre les tarifs.
© DAMIEN MEYER / AFP.

L’actuelle crise du lait nous montre une nouvelle fois que la concurrence est un mirage, mais la Confédération paysanne l’annonçait depuis la fin des quotas en 2014. Le libre fonctionnement des marchés prôné par le libéralisme est une utopie. Les prérequis nécessaires pour bénéficier des avantages théoriques de la libre concurrence sont tout d’abord très difficiles à obtenir : une multitude d’acheteurs et de vendeurs, aucune barrière pour entrer ou sortir du marché, une information transparente, une homogénéité du produit échangé et une mobilité des facteurs de production. Ces hypothèses réunies, les entreprises ne devraient faire aucun profit à terme !

Dans le cas du marché du lait, il y a peut-être beaucoup de producteurs mais il y a peu d’acheteurs. Aujourd’hui, Lactalis est la cible privilégiée de la FNSEA, qui, en revanche, ne dit mot du groupe Sodiaal… dirigé par un adhérent de la FNSEA, Damien Lacombe. Premier groupe laitier et fromager mondial avec 17 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 229 sites industriels dans 43 pays, Lactalis fixe le prix d’achat (théoriquement déterminé par le marché !). Nous assistons à une concentration de la production des produits laitiers, masquée par la multitude de marques du groupe [^1]. Cette situation restera inchangée, d’autant plus qu’il y a une surproduction et des stocks immenses.

Cette concentration n’entraîne pas la baisse des profits et encore moins des prix pour le consommateur, mais une concentration des résultats. La société Lactalis étant familiale, les bénéfices ne sont pas publiés, mais la fortune de son patron, Emmanuel Besnier, est évaluée à 6,8 milliards d’euros, ce qui en fait la 13e fortune de France [^2]. Comme les coûts (moyens) par unité produite baissent, il peut jouer avec les prix au gré des marchés locaux, tuer la concurrence en baissant les prix pour les réaugmenter plus tard. Il peut jouer aussi sur les stocks mondiaux excédentaires pour faire pression sur les producteurs laitiers.

La solution n’est pas du côté de la concentration des exploitations, telle la ferme des mille vaches, pour baisser la production, mais dans le fait de comprendre que l’agriculture n’est pas une marchandise. Elle rend un service à l’humanité. Comme le prône la Confédération paysanne [^3], il faut maîtriser et répartir la production laitière. Il faut multiplier les exploitations et conforter les plus petites (notamment dans les zones montagneuses) pour tenir compte des écosystèmes où paissent les élevages. Il faut retirer le pouvoir des organisations professionnelles pour le redonner aux paysans. Pour contrer l’uniformisation des produits laitiers, il faut en relocaliser la production, leur ouvrir l’accès aux Amap. Il faut abandonner la fuite en avant productiviste de l’Union européenne à travers les traités de libre-échange pour revenir au produit, adapté à chaque écosystème, à l’image des appellations contrôlées.

La solution n’est pas du côté du productivisme de la FNSEA, qui prône des fermes géantes, mais du côté de la Confédération paysanne, qui lutte pour une agriculture humaine de proximité.

[^1] Voir « Les marques du groupe Lactalis », Projet 22.

[^2] www.challenges.fr/classements/fortune/

[^3] « Bovins lait : nos positions », Confédération paysanne.

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