Réforme du collège : c’est le chantier !

Les nouveaux programmes entrent en application dès cette rentrée. Selon nombre d’enseignants, le changement a été mal préparé et n’est pas en adéquation avec les besoins réels.

Ingrid Merckx  • 31 août 2016 abonné·es
Réforme du collège : c’est le chantier !
© Photo : CITIZENSIDE/DENIS THAu2039ST/AFP

Dernière ligne droite avant la rentrée : Sonia finit de préparer ses cours avec son mari, également professeur de français. « On rentre au lycée. On quitte le collège après douze ans. On ne voulait pas avoir à mettre en place cette nouvelle réforme. » Combien de mouvements y a-t-il eu depuis deux ans contre la réforme du collège, cet autre volet phare de la loi sur la refondation de l’école après la réforme des rythmes scolaires ?

« Les profs sont descendus dans la rue. Mais qui a compris pourquoi ? »,soupire l’enseignante,qui répète : « On ne voit pas en quoi cette réforme va enrayer les inégalités scolaires et améliorer les résultats des élèves. Si tel était réellement l’objectif, on aurait réduit le nombre d’élèves par classe et augmenté le nombre d’enseignants. » Quatre mille postes supplémentaires ont été annoncés pour le collège, mais, avec les départs à la retraite et les démissions, cette réforme se fera quasi à budget constant, estime Frédérique Rolet, secrétaire générale du Snes-FSU.

La réforme du collège, pour quoi faire ?

La loi sur la refondation de l’école est née sous le ministère de Vincent Peillon, en réaction aux lois Sarkozy-Darcos, qui ont réduit le nombre d’enseignants, supprimé leur formation initiale, terni leur image et alourdi les semaines pour les élèves.

François Hollande compte l’Éducation nationale dans les colonnes positives de son bilan depuis 2012. Pourtant, l’enseignement continue à souffrir d’une crise des vocations, notamment en raison de conditions de travail difficiles. Les nouveaux rythmes scolaires – fatigants pour tout le monde – et la réforme du collège – mal acceptée – font des enseignants des déçus de sa présidence. « Le gouvernement actuel n’a rétabli qu’une formation parcellaire des enseignants, souvent chaotique, très inégale selon les académies », commente Laurence De Cock, professeure d’histoire-géo en lycée et cofondatrice du site Aggiornamento hist-géo. Même l’ex-ministre Jacques Lang tape sur son camp : « Les effets conjugués de la croissance démographique et de l’incapacité de l’Éducation nationale à pourvoir tous les postes ouverts aux concours, notamment en mathématiques ou en anglais, laissent craindre que l’objectif [de 60 000 postes créés entre 2012 et 2017, NDLR] ne soit pas atteint. La deuxième erreur, et j’en assume une part de responsabilité, a été de ne raisonner qu’en termes de postes et d’oublier les crédits d’intervention », écrit-il dans un livre intitulé Pour une révolution scolaire (Éd. Kéro).

La réforme du collège remonterait en réalité à 2006, d’après le site de référence reformeducollege.fr, créé par des enseignants. À l’époque, un rapport sur la grille horaire du collège proposait d’alléger les emplois du temps en réorganisant les enseignements par cycles, en cohérence avec une plus grande autonomie pédagogique. Dix ans plus tard, ce sont ces grands principes qui entrent en application dans les 7 000 collèges français. Le décret du 20 mai 2015 prévoit en effet de permettre aux établissements de décider de l’organisation de leurs enseignements avec leurs conseil d’administration et conseil pédagogique, et conformément au projet d’établissement. L’idée étant de s’adapter à leurs élèves, « de faire de l’accompagnement personnalisé, de travailler en interdisciplinarité et d’organiser les travaux en petits groupes »,a rappelé Najat Vallaud-Belkacem. Selon la ministre, « tous les pays qui ont fait face à une baisse de niveau importante dans les classements Pisa sont allés dans cette direction. Cette réforme va donc permettre à moyen terme d’élever le niveau de tous ». C’est le but affiché. Dans les faits, les équipes pédagogiques redoutent une explosion des inégalités entre les établissements difficiles et les autres.

Formés à la réforme ?

Le 28 juin 2015, le ministère avait annoncé huit journées de formation à la réforme du collège. Mais celles-ci ont été de qualité inégale sur le territoire. « Les inspecteurs, qui ne comprenaient eux-mêmes pas tout, nous ont dit : “Vous ferez de votre mieux” », sourit Sonia. « Je n’ai eu qu’une journée de formation, témoigne Julie, enseignante en français en Seine-et-Marne. Nous avons lu les nouveaux programmes sans évoquer la nouvelle architecture et travaillé sur un exemple de cours. J’ai passé tout juillet à travailler avec des collègues. Certains, qui ont quatre nouveaux programmes pour quatre niveaux en septembre, y ont passé l’été ! »

Qu’est-ce qui change ?

Les emplois du temps sont allégés : les élèves auront 250 heures de moins sur les quatre ans de collège. Soit entre 3 heures et 8 heures de moins par semaine pour un élève de 3e. Et une heure de moins pour un élève de 6e, qui passe de 25 heures de cours et deux heures d’accompagnement personnalisé (AP) à 23 heures de cours et trois heures d’AP. Les horaires diminuent en maths, en français, en langue vivante 2 (LV2), en technologie et en physique-chimie pour faire de la place aux enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI), autrement dit : « de la pédagogie de projet au service de réalisations concrètes ».

Surtout, l’école passe à une organisation par cycles. Le premier : la maternelle. Le ­deuxième : CP-CE1-CE2. Le suivant rattache la 6e aux CM1 et CM2, pour réduire le fossé avec l’élémentaire. Le quatrième regroupe les 5e, 4e et 3e.

« Pour créer des heures d’EPI et commencer la LV2 dès la 5e, il a fallu mordre sur les matières qui avaient le plus d’heures, soit les maths et le français, et donc supprimer géométrie et grammaire », souligne Luc Destombes, membre du collectif reformeducollege.fr et professeur de mathématiques dans la Loire.Les heures d’AP et d’EPI ne s’ajoutent pas aux enseignements disciplinaires mais s’y substituent : 540 heures de cours devraient ainsi être enseignées « autrement ». Mais la pertinence des suppressions de cours au profit d’EPI « incertains » fait grincer des dents. « La logique, dès l’élémentaire, c’est d’instaurer des apprentissages qui servent dans la vie de tous les jours, explique Luc Destombes. Pourquoi pas ? Sauf qu’on voit déferler des pages d’exercices pratiques en lieu et place de ce qui nous paraissait participer de la formation de l’esprit. »

Autre changement radical : les programmes ne se conçoivent plus par année mais par cycles dans lesquels les enseignants sont censés pouvoir naviguer à leur guise. « Le grand défi, c’est d’être raccord au sein d’un même établissement », avertit Luc Destombes. Et quid des enfants qui changeront d’établissement en cours de cycle ?

Manuels gate ?

Il a fallu renouveler six manuels par collégien pour chaque niveau. Coût moyen d’un livre : 22 euros. Budget dégagé par collégien : 54 euros. Loin du compte ! Les éditeurs n’ont pas tous terminé pour la rentrée. Et tous les établissements n’ont pas les moyens de renouveler leur stock entier. Les enseignants se sont donc débrouillés en mixant anciens et nouveaux bouquins avec des documents pêchés en ligne. « J’ai reçu un mètre d’étagère de nouveaux manuels ! »,s’exclame Luc Destombes. Une bonne dizaine d’ouvrages pour Julie. Aucun des deux n’est convaincu.

« Truffés d’erreurs », note la prof de français. « Ce sont des “magazines”, très jolis, bien illustrés, attractifs,commente le prof de maths. Mais, sur le fond, ils sont assez mauvais et posent problème d’un point de vue pédagogique. » Dans son collège de « zone rurale sans difficulté », les quatre enseignants de maths ont fabriqué leurs propres manuels et programmes : « On est passé de 200 pages de programme sur les quatre niveaux à 30, très floues, qui nous laissent une grande liberté d’interprétation. Mais qui va s’en saisir ? Combien vont se trouver complètement perdus ? », interroge Luc Destombes. Il raconte les centaines d’heures passées avec ses collègues à numériser des ouvrages des années 1950, 1970, 1980… et des éditions étrangères : « Cela nous a permis une traversée des mathématiques dans l’histoire et dans l’espace. On s’aperçoit que les modalités de cours et d’exercices ont changé. On insiste beaucoup plus aujourd’hui, en France, sur la pratique d’exercices “utiles” que sur la technique. »

Que deviennent les options ?

« Les options ne disparaissent pas ! », martèle le ministère. Lors de la soumission des préprogrammes aux enseignants, certains ont dénoncé la disparition des langues anciennes ainsi que des classes bilangues et européennes. « Les langues anciennes sont désormais l’un des choix offerts dans les enseignements pratiques interdisciplinaires, obligatoires pour tous les élèves, alors qu’aujourd’hui l’option latin ne concerne que 18 % des élèves », essaie de rassurer le ministère. Mais les EPI, non obligatoires, sont laissés à la responsabilité de chaque établissement. « Une de mes collègues s’est entendu répondre : “Tu feras latin en EPI… toute seule !” », souffle Julie.

Le ministère précise qu’un enseignement « dédié à la langue latine et à la langue grecque continue à être proposé en complément aux élèves qui le souhaitent ». Mais sur quel emploi du temps ? Et « en complément » en sus d’option ? Le nombre de latinistes serait pourtant en évolution constante, y compris dans les académies dites « sensibles »,comme Créteil. Si des classes bilangues et européennes ont pu être sauvées et la LV2 instaurée dès la 5e, les professeurs d’allemand comptent parmi les grands perdants de cette réforme en nombre d’heures global.

AP et EPI, cases à problèmes ?

« Les EPI ne sont finalement pas un problème, balaie Jean-Riad, professeur d’histoire en Seine-et-Marne. On va convertir en EPI des projets déjà existants. » Ercilia est plus dubitative : dans son nouveau collège, les EPI ont été décidés avant l’été. « Les regroupements ne se font pas forcément par affinités. Je vais me retrouver en 4e avec un EPI en début d’année sur la ville du XXIe siècle avec un professeur de technologie dont j’ignore encore le nom. J’ai donc préparé cet EPI avec d’anciens collègues, autour de Venise. Les élèves devront écrire des lettres comme s’ils y étaient. Et j’ai prévu un groupement de textes. Où est l’interdisciplinarité ? »

C’est exactement ce que redoute le Snes-FSU dans son appel à « entrer en résistance pédagogique » lancé le 19 mai : « Les croisements interdisciplinaires raccrochés aux huit thèmes d’EPI ont été connectés artificiellement aux programmes car déterminés après-coup. Ils portent une vision utilitariste et caricaturale des savoirs scolaires. Les élèves, et en particulier les plus en difficulté, risquent de se focaliser sur la réalisation “pratique” imposée. » Julie y voit toutefois un aspect positif : « Pour les profs qui travaillaient seuls, les EPI seront l’occasion d’apprendre à fonctionner en équipe. » Quant à l’AP, il aura désormais lieu pendant les heures de cours. Mais en classe entière ?

Nouveaux programmes : liberté ou flou total ?

« Les anciens programmes nous laissaient assez libres », s’étonne Julie, qui s’inquiète de la disparition de l’apprentissage des genres littéraires : « Le conte et l’épopée en 6e, le roman de chevalerie en 5e, etc. On se retrouve avec un apprentissage par “questions” : Le monstre aux limites de l’humain (6e), Dire l’amour (4e), Informer, s’informer, déformer (4e), etc. En outre, les listes d’ouvrages conseillés garantissaient une certaine homogénéité d’un établissement à l’autre : tout le monde était plus ou moins sûr d’avoir étudié une œuvre de Molière au collège. »

Si certains enseignants vont se trouver ravis de pouvoir faire lire des auteurs de leur choix à leurs élèves, d’autres remettent déjà en cause la formulation de questions « gravées dans le marbre ». « L’initiation aux médias est une nouveauté qu’on peut prendre comme on veut : présenter les médias existants, proposer une approche critique d’Internet ou travailler sur un personnage de journaliste »,estime Julie. « Certains programmes ont des repères trop imprécis ou sont relativement flous concernant les connaissances à acquérir et le niveau de maîtrise de certains concepts, ce qui risque de renforcer les inégalités »,craint le Snes.

Ce qui ennuie surtout Luc Destombes, c’est que les nouveaux emplois du temps entraînent 4 à 5 heures de permanence par semaine dans son établissement. Que faire pour ne pas se contenter d’entasser 60 à 80 collégiens dans une salle devant un surveillant ?

une bascule vers le privé ?

Les établissements privés sous contrat peuvent déroger à la réforme. « Il faudra voir d’ici à quelques semaines le taux de bascule du public vers le privé imputable à cette réforme », glisse Frédérique Rolet, qui place cette rentrée sous le signe de « l’incertitude ».

Société
Temps de lecture : 11 minutes