La ruée vers les métaux rares

Une société minière entend exploiter le sous-sol breton. Une résistance citoyenne s’est formée contre ce projet archaïque.

Vanina Delmas  • 14 septembre 2016 abonné·es
La ruée vers les métaux rares
© Photo : vigil’oust

Un jour d’été 2015, un bruit d’hélicoptère résonne dans la campagne bretonne. Un survol inhabituel qui interpelle quelques habitants de Merléac et des communes voisines. Quelques mois plus tard, une autre scène insolite se joue sous les yeux des agriculteurs bretons, mais au sol cette fois. Des jeunes gens polis et bien vêtus se promènent dans les champs et demandent aux propriétaires s’ils peuvent ramasser des cailloux. Aucun agriculteur ne peut refuser. Qui sont ces bénévoles sortis de nulle part ? Des géologues en reconnaissance. Et l’hélicoptère appartient à la société Variscan Mines. L’air de rien, l’engin volant commence à cartographier la présence de métaux rares dans la région à l’aide d’un radar électromagnétique. Il faut dire que le sous-sol de l’antique Massif armoricain, à cheval entre les Côtes-d’Armor et le Morbihan, recèle des richesses jamais tombées dans l’oubli. Mais personne n’imaginait la réouverture de mines au XXIe siècle pour extraire du zinc, du plomb, de l’or, du cuivre, de l’argent et des « substances connexes ».

Pourtant, une société australienne, Variscan Mines, a jeté son dévolu sur la région bretonne, entre autres [^1]. Et le gouvernement a suivi, dans l’idée de retrouver une indépendance industrielle, notamment par rapport à la Chine. « Il y a vingt ans, on utilisait une quinzaine de métaux. Aujourd’hui, plus de cinquante sont nécessaires pour développer les nouvelles technologies destinées à la transition énergétique (éoliennes, panneaux solaires, etc.), l’industrie aéronautique, -l’armement, l’électronique, l’automobile, etc., énumère Michel Bonnemaison, directeur général de Variscan Mines. C’est aussi une réflexion éthique, car beaucoup de métaux sont produits par des pays qui n’hésitent pas à envoyer des gamins au fond des mines. »

Demandé en 2011, le permis exclusif de recherches de mines (Perm) de Merléac est accordé par le ministère de l’Économie en 2014. Suivent ceux de Silfiac et de Loc-Envel. Une fronde citoyenne s’est formée et tente d’informer le reste de la population sur les conséquences d’un tel projet. « Le Perm de Merléac a été accordé un an avant les autres car il n’y avait pas d’associations, pas de résistance. Ici, il n’y a pas trop de conscience écolo, contrairement à Silfiac ou à Loc-Envel, relève Lucie, du collectif Vigil’Oust. Trente-trois communes sont impliquées, mais, comme le permis s’appelle “Perm de Merléac”, la plupart des habitants ne se sentent pas concernés. Variscan n’a pas fait ces choix-là au hasard. »

© Politis

En effet, la zone a déjà été visitée par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), chargé de dresser un inventaire minier de la France à partir des années 1960. Le site de la Porte aux Moines, fermé en 1981, est dans le viseur de la société minière, notamment pour sa richesse en zinc. « Leur but est d’élaborer un catalogue. À Merléac, ils ont ressorti de vieilles carottes pour montrer qu’il y a des ressources, et donc une possibilité de spéculer. Ils doivent aussi préparer le terrain social pour éviter une rébellion lorsqu’un plus gros groupe ouvrira la mine d’exploitation », analyse Lamine, du collectif Douar Didoull, qui défend le site de Loc-Envel.

Malgré l’énergie déployée par les bénévoles de Vigil’Oust depuis plus d’un an, notamment grâce aux « Bar à mines » pour informer la population, certains habitants n’étaient pas conscients de l’avancée du projet minier. « Je pensais qu’on n’en était qu’au stade de l’hélicoptère, avoue Christophe, un riverain de Gausson, à 15 kilomètres de Merléac. Je faisais partie du conseil municipal l’année dernière, et on n’a jamais abordé ce sujet ! » En une semaine de mobilisation, ces citoyens alarmés ont enchaîné opérations de porte-à-porte et réunions d’information publiques. Une pétition en ligne [^2] a recueilli plus de mille signatures en trois jours.

À Plélauff, près de Silfiac, les vestiges d’une ancienne mine de plomb et de zinc sont visibles depuis la petite route qui longe le ruisseau du Crénard. Aucune végétation n’a repris ses droits. Aucun panneau ne prévient qu’on s’aventure sur le terril minier, désormais intégré à la propriété d’un agriculteur biologique. Ce dernier a d’ailleurs fait analyser son terrain, et la teneur en plomb y est supérieure à la normale. Lorsqu’il pleut, les déchets sont lessivés et ruissellent directement dans le cours d’eau qui alimente d’autres sources d’eau potable, dont le lac de Guerlédan – 15 % des eaux du Morbihan. « La mobilisation fonctionne mieux à Silfiac qu’à Merléac, car il y a beaucoup plus d’agriculture biologique et de tourisme vert,précise Claire Mériaux, présidente du collectif Attention mines. On se bat aussi pour défendre nos maisons, dans lesquelles nous avons investi du temps et de l’argent, et qu’on a envie de transmettre à nos enfants. »

Après les prospections réglementaires, Variscan Mines devrait lancer les sondages à Merléac, « certainement vers le milieu de l’hiver », selon son directeur général. « Nous avons déjà eu des mines d’uranium, et il reste beaucoup de poches contenant du radon et de l’arsenic, alerte Goulven, de Douar Didoull. Les risques de pollution de l’air et de l’eau sont indéniables ». Pour Dominique Williams, représentante de l’association Eaux et Rivières de Bretagne, c’est « une catastrophe annoncée » sur le plan environnemental, car la plupart des métaux recherchés sont des sulfures qui s’oxydent au contact de l’eau ou de l’air. Toute l’eau deviendrait acide. « Deux tiers de l’eau potable en Bretagne provient des cours d’eau et un tiers des eaux souterraines, explique-t-elle. Si des galeries sont creusées, toutes les réserves d’eau souterraines contenues dans les cavités rocheuses se rejoindront et tout sera contaminé. De plus, aucun béton ne résiste à cette acidité, donc les galeries risquent de s’effondrer. Le béton se désagrège et les produits chimiques s’accumulent dans l’eau. » Un véritable cocktail chimique à volonté, et pour tous : commerces, riverains, animaux de ferme…

Prêt à affronter les arguments environnementaux, Michel Bonnemaison a affûté ses propres armes en vantant les mérites d’une « mine verte ». « On peut apprendre des erreurs du passé. À l’époque, l’environnement était encore considéré comme une lubie de certains. On a souvent laissé des mines non rebouchées qui crachaient de l’eau acide, ce qui a laissé une image déplorable de l’extraction minière, reconnaît Michel Bonne-maison. Aujourd’hui, on sait concevoir des machineries, du monitoring et des pilotages à distance pour traiter les minerais directement sous terre. Les déchets seront transformés en “ciment-colle” pour -reboucher les galeries. On réinjecte dans le sous-sol ce qu’on a pris, on ne remonte à la surface que la partie commerciale. » Pourtant, personne ne parvient encore à imaginer une mine propre.

La promesse d’emplois séduit une partie non négligeable, mais très discrète, des habitants des communes en question. Les nostalgiques de l’ancien temps adhèrent également à l’argument économique. « Enfant, j’ai connu ce terrain de 1960 à 1963. Toute une activité s’était développée : commerces, restaurants, écoles, agriculture, car les mineurs allaient acheter des poulets ou des œufs chez les fermiers… Quand ils sont partis, on a ressenti un grand vide. Certains locaux ont même suivi les mineurs dans les Pyrénées, raconte Bernard Rohou, maire de Plélauff. Mais la population a manifesté son mécontentement, et je considère que le conseil municipal représente l’avis de sa population. Nous avons donc décidé de nous opposer au projet. »

L’une des solutions pour contrer -Variscan Mines est de l’empêcher d’accéder aux terrains. Les propriétaires remplissent alors des bordereaux de refus, récupérés par les mairies et envoyés à Variscan par les associations. Pour Michel Bonnemaison, cette campagne ne représente pas le sentiment général de la population et ne bloque que le bilan environnemental nécessaire à la progression du chantier. Il qualifie ses opposants d’« obscurantistes ».

« Nous ne sommes ni des obscurantistes ni des “anti-tout”, s’indigne Samuel, du -collectif Mines de rien. Tout cet argent est investi dans un ancien modèle d’extraction et non pas dans des recherches pour recycler les métaux lourds. Nous voulons aussi mettre en avant les alternatives qui existent pour tous ceux qui souhaitent vivre -différemment. »

[^1] Permis exclusif de recherches de mines : Dompierre (Ille-et-Vilaine), Penlan et Loperec (Finistère), Beaulieu (Loire-Atlantique) et Saint-Pierre (Maine-et-Loire), Tennie (Sarthe).

[^2] « Stop aux projets miniers en Bretagne », Change.org.

Écologie
Temps de lecture : 8 minutes

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