[ARCHIVE] Des « événements » à la « guerre d’Algérie »
Un voile d’oubli a longtemps recouvert le massacre des Algériens qui avaient manifesté dans les rues de Paris, le 17 octobre 1961, à l’appel du Front de libération national (FLN). La volonté d’occultation du pouvoir gaulliste et de son préfet de police, le sinistre Papon, était si forte que, 55 ans après, le macabre bilan de cette manifestation se situe dans une fourchette de 98 à 120 morts. Porter ces faits à la connaissance du public, les faire reconnaître a été un long combat de mémoire porté par quelques historiens et associations. Politis y a pris sa part en publiant le 19 septembre 1991 un important dossier sur cette manifestation tragique. Nous en republions aujourd’hui l’introduction de Michel Soudais.
Cette archive témoigne d'une époque où, malgré dix ans de présidence mitterrandienne, et huit ans de gouvernements de gauche, la « guerre d'Algérie » n'était pas encore entrée dans le langage officiel. Il a fallu attendre le 18 octobre 1999 pour qu'une loi substitue à l'expression « aux opérations effectuées en Afrique du Nord » l'expression « à la guerre d'Algérie ou aux combats en Tunisie et au Maroc ». Et ce n'est qu'en 2012, à l'occasion du 51ème anniversaire de la manifestation du 17 octobre 1961, qu'un président de la République, en l’occurrence François Hollande, déclare que « la République reconnaît avec lucidité » la répression « sanglante » au cours de laquelle ont été tués « des Algériens qui manifestaient pour le droit à l'indépendance ».
Le faciès devient “croissant jaune” sans que beaucoup de voix osent rappeler l’ordonnance gaulliste du 7 mars 1944 : “Les Français musulmans d’Algérie jouissent de tous les droits et sont soumis à tous les devoirs des Français non musulmans”. le 17 octobre, 30 000 Algériens manifestent contre cette mesure. La police ratonne. C’est en France, à Paris, il y a trente ans. Presque hier. Qui le sait ? 11 358 arrestations officielles en une nuit. Le sinistre record de la rafle du Vel d’hiv n’est pas loin.
Récitant la version officielle, les actualités cinématographiques annoncent “deux tués et aussi un Européen, un Français originaire du Finistère et demeurant à Rouen et qui était on ne sait pourquoi à Paris”. Dans les premiers jours, et à de rares exceptions près, la presse a essayé de dire que les barbares avaient déferlé sur Paris. Elle n’a pas pu dissimuler longtemps que ces “barbares” avaient été massacrés. Les reportages contredisent les manchettes de une. Et la somme des morts constatés par les différents reporters présents sur le terrain est bien supérieure à la vérité officielle.
Qui s’en souvient ? Aujourd’hui encore, le Quid, cette somme du savoir populaire, fait état de 2 morts (et l’Européen ?) et de 44 blessés (20 de moins que les chiffres officiels). Tout en parlant de “violente répression”, la très légitimiste Chronique du XXe siècle de Larousse reste évasive : “Certains affirment que des cadavres de manifestants algériens auraient été repêchés dans la Seine.” “Je n’ai pas encore eu entre les mains le début du commencement de l’ombre d’une preuve”, affirmait, le 30 octobre 1961, à l’Assemblée nationale, le ministre de l’intérieur Roger Frey, en réponse aux accusations du député de la majorité Eugène Claudius-Petit. N’aurions-nous pas davantage de preuves aujourd’hui pour que les manuels d’histoire de terminal continuent ainsi de recouvrir ces événements d’un voile pudique ?
D’où vient l’amnésie d’aujourd’hui, entretenue par le refus des politiques de rouvrir le dossier ? la gauche aurait-elle héritée d’une raison d’État vieille de trente ans ? Ou préfère-t-on croire que la France, n’ayant pas pu commettre un tel crime, elle ne l’a pas commis ? Il fallu attendre 1981 pour que la justice accepte timidement de se pencher sur l’action préfectorale de Maurice Papon en 1942. Quarante ans pour que les manuels d’histoire décrivent exactement le rôle de Vichy (jusqu’alors passé sous silence) dans la déportation des Juifs. Quarante longues années qu’il serait bon d’écourter s’agissant du 17 octobre 1961. L’association baptisée “Au nom de la mémoire” y travaille. […] Il s’agit de s’interroger : il n’y a pas un passé d’ombre et un présent de lumière. Le refoulement persiste – y compris sur toute la période algérienne […]. Un peu plus nombreux sont ceux qui savent maintenant que le mensonge sur cette tranche de notre histoire ne facilite pas une relation sereine avec l’Algérie et les Algériens d’aujourd’hui.