En Turquie, la chasse aux élus pro-Kurdes continue

Des heurts ont éclaté ce mercredi à Diyarbakir, au lendemain de l’arrestation des deux maires de cette grande ville du sud-est à majorité kurde de la Turquie, où les autorités ont lancé une véritable chasse aux responsables locaux.

Politis.fr  • 26 octobre 2016
Partager :
En Turquie, la chasse aux élus pro-Kurdes continue
© Photo : ILYAS AKENGIN / AFP

Accusés d’apporter un soutien « idéologique » et « logistique » au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), Gültan Kisanak, figure importante de la cause kurde et première femme élue à la tête de Diyarbakir, et son collègue Firat Anli, ont été arrêtés et placés en garde à vue mardi soir dans le cadre d’une enquête sur de présumées « activités terroristes ».

Selon le parquet, les deux élus du Parti pour la paix et la démocratie (BDP, pro-kurde) sont notamment soupçonnés d’avoir permis l’utilisation de véhicules municipaux pour les funérailles de membres du PKK, tués par les forces de sécurité turques, d’avoir « incité à la violence » ou encore d’avoir soutenu des appels en faveur d’une plus grande « autonomie ». Le soir même, près de deux cents personnes se sont rassemblées à proximité de la mairie de « la capitale » du Kurdistan turc pour réclamer leur libération, aux côtés de quelques élus du Parti démocratique des peuples (HDP) solidaires.

Des manifestations, sévèrement réprimées par les forces de l’ordre, ont également éclaté à Diarbakir ce mercredi dans la journée. Selon un journaliste de l’AFP, les policiers déployés autour de la mairie de la ville ont repoussé les contestataires à coups de matraque, de grenades lacrymogènes et de canons à eau. Scandant que ces « pressions ne [les] intimidaient pas », les manifestants ont répondu par des jets de pierre. D’après l’agence de presse, la connexion internet aurait même été coupée dans la journée à Diarbakir, et dans d’autres villes à proximité.

Dénonçant une « agression » « illégale et arbitraire », le HDP avait appelé sur son compte Twitter à manifester dans différentes villes en Turquie ce mercredi et incité la communauté internationale « à ne pas rester silencieuse ».

De même, la Coordination nationale solidarité Kurdistan (CNSK), a estimé que la remise en question « de la légitimité des élus vise à instaurer un climat de peur, à bafouer le suffrage universel et à humilier les Kurdes ». Interpellant l’UE, et particulièrement le gouvernement français, le CNSK demande à ce que « la dérive dictatoriale d’Erdogan » soit condamnée et demande l’application « des sanctions prévues par le droit européen ».

Dans un communiqué diffusé par le bureau européen du HDP, les membres du parti ont également dénoncé une violence « qui n’a jamais cessé dans le sud-est de la Turquie » depuis la cessation du cessez-le-feu entre Ankara et la guérilla du PKK, survenue en juillet 2015.

De son côté, l’Union européenne (UE) a fait savoir qu’elle suivait « les informations très inquiétantes sur l’arrestation des co-maires démocratiquement élus de Diyarbakir » par la voix de sa chef de la diplomatie Federica Mogherini et du commissaire à l’Élargissement, Johannes Hahn.

Mais ces dernières semaines, les autorités ont multiplié les suspensions et les arrestations de responsables locaux et de fonctionnaires, sous couvert de « propagande terroriste » ou de « soutien logistique » pour le compte du PKK. Des nouvelles qui laissent présager une escalade de la violence : le mois dernier, ce ne sont pas moins de 24 maires pro-kurdes, élus dans le sud-est du pays, qui ont été remplacés par des administrateurs nommés par le gouvernement. Les incessantes arrestations des politiques, pourtant démocratiquement élus, déclenchent régulièrement des manifestations dans la région. Le 16 octobre, un administrateur désigné par le gouvernement a d’ailleurs été tué par balles à Van, au cours d’une attaque qui n’a pas été revendiquée…

Monde
Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Droit international : quand règne la loi du plus fort
Monde 9 juillet 2025 abonné·es

Droit international : quand règne la loi du plus fort

Les principes du droit international restent inscrits dans les traités et les discours. Mais partout dans le monde, ils s’amenuisent face aux logiques de puissance, d’occupation et d’abandon.
Par Maxime Sirvins
Le droit international, outil de progrès ou de domination : des règles à double face
Histoire 9 juillet 2025 abonné·es

Le droit international, outil de progrès ou de domination : des règles à double face

Depuis les traités de Westphalie, le droit international s’est construit comme un champ en apparence neutre et universel. Pourtant, son histoire est marquée par des dynamiques de pouvoir, d’exclusion et d’instrumentalisation politique. Derrière le vernis juridique, le droit international a trop souvent servi les intérêts des puissants.
Par Pierre Jacquemain
La déroute du droit international
Histoire 9 juillet 2025 abonné·es

La déroute du droit international

L’ensemble des normes et des règles qui régissent les relations entre les pays constitue un important référent pour les peuples. Mais cela n’a jamais été la garantie d’une justice irréprochable, ni autre chose qu’un rapport de force, à l’image du virage tyrannique des États-Unis.
Par Denis Sieffert
Yassin al-Haj Saleh : « Le régime syrien est tombé, mais notre révolution n’a pas triomphé »
Entretien 2 juillet 2025 abonné·es

Yassin al-Haj Saleh : « Le régime syrien est tombé, mais notre révolution n’a pas triomphé »

L’intellectuel syrien est une figure de l’opposition au régime des Assad. Il a passé seize ans en prison sous Hafez Al-Assad et a pris part à la révolution en 2011. Il dresse un portrait sans concession des nouveaux hommes forts du gouvernement syrien et esquisse des pistes pour la Syrie de demain.
Par Hugo Lautissier