La crise écologique, pour les jeunes, c’est grave mais pas triste !

Quand ils s’engagent pour la planète, les jeunes préfèrent les actions de terrain percutantes et ludiques au militantisme traditionnel.

Patrick Piro  • 21 décembre 2016 abonné·es
La crise écologique, pour les jeunes, c’est grave mais pas triste !
© Zep/delcourt

Un matin de mai dernier, Michael a enfilé la combinaison blanche des fantassins non-violents d’Ende Gelände. Une colonne de 800 militants avance à travers prés vers Schwarze Pumpe. Il s’agit de bloquer l’approvisionnement en combustible de cette centrale à lignite, la plus importante du Land allemand de Brandenbourg. Les plus décidés s’enchaînent aux rails. D’autres dévalent par dizaines les flancs de l’impressionnante mine de lignite et grimpent sur les imposantes excavatrices pour les immobiliser.

Au bout de trois journées de blocus, Schwarze Pumpe se met en veilleuse, réserves épuisées. Les quelque trois mille activistes d’Ende Gelände 2016, dont une grande partie n’a pas 30 ans, célèbrent un succès « historique [^1] ». Michael, cours séchés, a un peu menti à ses parents sur la nature de sa virée campagnarde avec ses copains de Cottbus. À 16 ans, il a son idée sur ce qui sera le plus utile à son avenir et à celui de la planète. « Ici, j’apprends des choses que l’école ne m’enseignera jamais. »

Anthony et une joyeuse bande du sud-ouest de la France ont campé pendant deux jours au sommet d’une des excavatrices. Un mois plus tôt, le jeune homme était au premier rang des troupes qui ont perturbé à Pau, trois jours durant, le sommet MCEDD de la prospection pétrolière et gazière en eaux profondes [^2], menotté au portail de l’hôtel des VIP pour en empêcher la sortie, ou déjouant les barrages de CRS pour tenter d’envahir le bâtiment où se tenait la rencontre. En l’espace d’un mois, 600 personnes, surtout des jeunes, avaient répondu à l’appel des organisateurs de ce « Stop MCEDD ». Anthony a démissionné de son premier boulot pour se mettre pleinement au service des mouvements climatiques pendant deux ans. « La situation exige de mettre le paquet. Je ne supporterais pas de n’avoir rien fait. »

Pas de grands débats pour départager « révolution » et « réforme », d’assemblées générales devant des salles acquises, d’encartage ou d’élection de chefs, c’est l’engagement concret qui prime. Emma, lycéenne à Montpellier, se dit « fascinée » par Greenpeace, dont les militants escaladent des plateformes pétrolières ou des tours réfrigérantes de centrales nucléaires pour dénoncer les risques environnementaux. « J’aimerais bien y travailler. On n’est pas dans des bureaux, c’est de l’action sur le terrain », s’enthousiasme-t-elle.

Warn ! : à vos marques, prêts ? changez !

Le mouvement Warn ! (We Are Ready Now ! : « Nous sommes prêts maintenant ») est né en 2014, sous l’impulsion de plusieurs associations (Avenir climatique, CliMates, Refedd, Génération cobaye, Animafac…), avec pour objectif de mobiliser la jeunesse lors de la COP 21, à Paris.

Refusant d’être réduit à un mouvement écologiste, Warn ! veut surtout connecter les personnes prêtes à changer leur mode de vie. Il s’agit de regrouper toutes les alternatives touchant l’emploi, les transports, la santé, l’alimentation ou la politique.

Pour 2017, le mouvement lancera une campagne pour montrer que d’autres voies existent. « Cette volonté de donner du sens est très générationnelle, alors nous avons quasiment tous entre 17 et 35 ans,commente Édouard Marchal, cofondateur. Notre but est de répondre à la question : “Comment entre-t-on vraiment dans le XXIe siècle ?” » Avec des réponses concrètes, imaginées et testées lors de week-ends (les WE Warn) en totale autogestion, durant lesquels s’enchaînent des ateliers et des temps de réflexion sur comment adapter ses gestes du quotidien, en famille ou au travail, pour que son mode de vie soit désormais en adéquation avec son mode de pensée.

Ces jeunes militants sont réfractaires à tout ralliement derrière une personnalité providentielle, observe Mathieu Doray, 40 ans, l’un des animateurs du mouvement climatique Alternatiba à Nantes. « Ils adhèrent à des opérations de rue très dynamiques, non–violentes et teintées de désobéissance civile. Une thérapie par l’action plutôt que des lamentations sur le marasme planétaire. Des groupes se constituent par affinités, ce qui permet d’organiser rapidement et en confiance des interventions d’envergure. » Coups d’éclat ludiques, blocage de projets climaticides, -soutien aux alternatives dans l’énergie, l’agriculture, l’économie, etc. : Alternatiba, né en 2013 au Pays basque et qui déborde aujourd’hui des frontières françaises, a séduit des milliers de jeunes qui n’avaient jusqu’alors jamais milité.

Les mobilisations de ce type, où les luttes idéologiques s’effacent devant l’action, se multiplient depuis quelques années. Les « guérilleros jardiniers » sèment des légumes ou des fleurs les nuits de printemps entre les interstices du béton des villes. Des étudiants font pression sur leur université pour qu’elle retire ses actifs investis dans les énergies fossiles. En guise de « représailles », des « faucheurs de chaises » dégarnissent les halls d’attente de banques coupables d’avoir laissé des milliards d’euros s’évader vers des paradis fiscaux.

Monter des actions percutantes et médiatiques, obtenir des résultats visibles, passer si nécessaire des nuits blanches arrimé dans un arbre, éprouver sa détermination face aux forces de l’ordre, apprendre au contact des autres… « Il faut voir dans cette mouvance une traduction de la crise des partis politiques, analyse Gilles Lemaire, militant chevronné attentif à ces émergences. Les jeunes, en particulier, n’attendent plus le Grand Soir. Ils ont envie de mobilisations directes. Il faut dire qu’ils ont le sentiment très fort de mener une course de vitesse contre la crise écologique. »

Comme Anthony, Tatiana, Sasha, Gaspard et Michel, une fois leurs études terminées, ont mis leur carrière entre parenthèses pendant plusieurs mois pour sauver les terres agricoles de la ferme des Bouillons contre Auchan, près de Rouen, ou pour lutter contre le projet de poubelle nucléaire de l’Andra à Bure, dans la Meuse. Anissa et Raoul consacrent une année de service civique aux Petits Débrouillards, intervenant dans les écoles parisiennes sur la -biodiversité et la transition écologique. Animatrice au sein de l’association, Sabrina Caron fustige « trente ans de promotion contre-productive de messages tels que “fermer le robinet”, qui n’amènent aucune compréhension de la crise globale. Notre objectif est de pousser les jeunes à des actions à la hauteur de la transition globale, dans les domaines de la mobilité, de l’habitat, de la relocalisation de l’économie, etc. ».

La crise écologique, qui questionne très directement les modes de vie, conduit naturellement ces militants à faire converger leurs pratiques quotidiennes et leurs engagements. Beaucoup adoptent des pratiques décroissantes – adhésion à une Amap, choix d’une banque éthique, réduction de la consommation de viande, jusqu’au véganisme, etc. « Parce que ce n’est qu’au prix de mutations individuelles qu’on y arrivera », professe Till, jeune technicien du spectacle. Cette conviction est le ressort d’appels à l’engagement personnel des Colibris, de la Fondation Nicolas-Hulot, des promoteurs du film Demain ou du mouvement Warn (voir encadré).

Jusqu’à la radicalité des zadistes. Ceux qui occupent les sites de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), de Roybon (Isère), de Bure (Meuse) ou des Lentillères (Dijon) s’y sont durablement installés pour s’opposer physiquement à des « grands projets inutiles et imposés », mais aussi pour expérimenter des micro-sociétés fondées sur des valeurs d’équité, de solidarité, de sobriété, de défense de la nature. Quand la lutte de Notre-Dame-des-Landes a connu une répercussion nationale, à partir de fin 2012, plusieurs adolescents fugueurs ont été récupérés dans le bocage de la ZAD.

Moins exigeants, des lieux récemment émergés revendiquent « d’écrire de nouveaux récits ». Une terminologie en vogue pour désigner des initiatives cassant les codes de la représentation du travail, de l’utilisation des espaces, de la disponibilité des personnes, de la place laissée aux désirs. Dans la bouche de Nicolas Détrie, du mouvement Yes We Camp, pas de références explicites à l’écologie, au social ou à l’économie. « La question, c’est mieux vivre. Et donc accepter la complexité, respecter les personnes et la planète, inclure. Nous ne prétendons pas dire aux gens ce qu’ils doivent penser. »

La petite équipe, qui comprend notamment des urbanistes et des architectes, a investi les 3,4 hectares de l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul (Paris XIVe), désaffecté depuis 2012. Carte blanche de la ville ou presque, avant que n’y surgisse, vers 2018, un écoquartier. Près de 400 personnes sans domicile fixe et autant de travailleurs africains en foyer vivent sur place. Ils cohabitent aujourd’hui avec près d’un millier de nouveaux voisins, répartis dans 140 structures et associations centrées sur des projets sociaux, culturels et écologiques. Un lieu prisé des jeunes « entrepreneurs » et ouvert au quartier. « C’est un espace d’expérimentation de la transition sociétale », décrit Nicolas Détrie, qui souhaite qu’il perdure, d’une manière ou d’une autre, au sein de l’écoquartier à naître.

[^1] Voir Politis n° 1399, 14 avril.

[^2] Voir Politis n° 1404, 19 mai.

Société
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