Désaccords primaires

Les débats entre les principaux candidats à la candidature socialiste mettent au jour de nombreuses fractures qu’il sera difficile de réduire en vue d’un rassemblement.

Michel Soudais  • 18 janvier 2017 abonné·es
Désaccords primaires
© photo: DEMARTHON/AFP

Bien que brève, la campagne de la primaire organisée par le PS a surtout donné à voir des divergences entre les candidats. C’est la loi du genre. Entre un Manuel Valls, forcé d’assumer le bilan du quinquennat, la politique de l’offre et toutes ses mesures pro-business comme le CICE, le pacte de responsabilité ou la loi travail, et un Arnaud Montebourg, héraut de la relance de la consommation, revendiquant un « projet keynésien », avec notamment un plan d’investissement public de 20 milliards sur trois ans, le fossé est important. Et il ne suffit pas de vouloir rediriger le CICE vers les PME en le conditionnant, comme le propose Vincent Peillon, pour combler cet abîme. On imagine mal d’ailleurs quelle synthèse pourrait être trouvée sur l’Europe entre ce dernier et l’ancien ministre du Redressement productif quand M. Montebourg veut « mettre fin à l’austérité, qui a essoré un certain nombre de pays », alors que Vincent Peillon demande d’« arrêter de faire croire que c’est toujours la faute de l’Europe ». Pour relancer un pouvoir d’achat en recul de 585 euros par an et par ménage, selon l’OFCE, Benoît Hamon souhaite revaloriser le Smic et les minima sociaux de 10 %, et lancer la première étape d’un revenu universel, quand ses concurrents envisagent de baisser les impôts qui portent sur le travail : défiscalisation des heures supplémentaires (Manuel Valls), baisse de la CSG sur les petits salaires (Arnaud Montebourg), fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu afin de la rendre progressive et plafonnement de la taxe d’habitation (Vincent Peillon).

Ces questions ont été abondamment débattues dans les instances du PS, sans jamais être vraiment tranchées. Et quand elles l’ont été dans la pratique du pouvoir comme ces dernières années, elles restent disputées. En témoigne l’appréciation du bilan de François Hollande, sur lequel se sont exprimés les candidats lors du premier débat télévisé, sans jamais s’appesantir. Arnaud Montebourg l’a jugé « difficile à défendre » ; Benoît Hamon a évoqué un « sentiment d’inachevé » ; « de profonde incompréhension », nuance Vincent Peillon ; quand Manuel Valls a fait état de sa « fierté d’avoir servi les Français dans une période très difficile ». Si Sylvia Pinel a, elle, parlé d’un bilan à « porter » malgré tout, François de Rugy l’a jugé « contrasté, en demi-teinte », tandis que Jean-Luc Bennahmias abondait d’un « peut mieux faire ».

Les flash-back sur ce quinquennat dévoilent d’autres fractures que la politique économique. Samedi, face aux jeunes socialistes qui auditionnaient les candidats, Vincent Peillon a regretté la place laissée selon lui aux thèmes du FN : « Ça a commencé très tôt, avec les questions sur les Roms, j’ai eu à gérer l’affaire Leonarda, qui a été très douloureuse […], jusqu’au burkini à la fin du quinquennat. » On songe à la déchéance de nationalité, que Manuel Valls, implicitement visé, continue de défendre contrairement au 49-3. Mais un clivage existe aussi sur l’état d’urgence. L’ancien Premier ministre souhaite le prolonger « aussi longtemps qu’il faudra » – et à l’entendre expliquer qu’il faudra une génération pour venir à bout du terrorisme, cet horizon est très lointain. « Nous n’avons pas besoin d’état d’urgence pour protéger les Français », estime Arnaud Montebourg. Avis partagé par Benoît Hamon. Vincent Peillon conteste quant à lui que nous soyons en « guerre », comme le martèle Manuel Valls : « Le terme de guerre, il a du sens quand on s’affronte à des armées extérieures », a lancé l’ancien ministre de l’Éducation à son concurrent, lui reprochant d’« introduire certaines confusions » puisque « beaucoup de ces terroristes sont des enfants de la France, […] parfois des convertis ».

Les projets des candidats divergent en fait sur de nombreux points. Dans les pages qui suivent, nous en avons retenu sept, d’inégale importance mais tous révélateurs d’approches différentes des réformes à entreprendre face à l’évolution du monde du travail, à la mondialisation, aux migrations ou à l’écologie. On aurait pu comparer aussi les réponses institutionnelles que les uns et les autres avancent pour répondre à la crise démocratique : changement de République pour Arnaud Montebourg et Benoît Hamon, qui n’envisagent toutefois pas la même et prônent des moyens d’intervention et de consultation citoyennes différentes ; _statu quo aménagé à la marge pour Manuel Valls et Vincent Peillon. À recenser tout ce qui les sépare, on peine à imaginer que les quatre socialistes de cette primaire puissent s’entendre le 30 janvier sur un projet commun.

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