L’étonnante aventure d’une vétérinaire-détective en Alaska

Kathy Burek autopsie les loutres, les ours, les baleines et les morses pour comprendre pourquoi le réchauffement climatique les tue

Claude-Marie Vadrot  • 11 janvier 2017 abonné·es
L’étonnante aventure d’une vétérinaire-détective en Alaska
© Photo: Sylvain Cordier / Biosphoto

La presse de l’Alaska, 49eme États des USA, et des journaux canadiens, s’intéressent depuis des mois à Ketty Burek, une femme vétérinaire qui devient l’idole des « lanceurs d’alerte » du climat, des pêcheurs et des amoureux de la faune sauvage. Un peu par hasard, et par intérêt scientifique, elle a équipé en 2007 une loutre de mer d’un balise car il lui semblait que l’animal était bien petit pour son âge apparent. Plus tard cette loutre a été retrouvée mal en point sur une plage près d’Anchorage, une ville de 280 000 habitants, la plus peuplée de l’Alaska. Il a été impossible de la sauver et Ketty Barek a décidé de l’autopsier après l’avoir fait transporter par un navire équipé d’une chambre froide.

Détective de la faune

Une première qui lui a permis de constater que bien qu’âgée de 8 ans, d’après sa dentition, la loutre était d’une taille inférieure à la normale, qu’elle ne pesait que 25 kilos (contre une moyenne de 40) et qu’aucune blessure n’expliquait sa mort. La vétérinaire se transforma ensuite en véritable détective lorsqu’elle découvrit, l’année suivante, que 304 loutres de mer avaient été retrouvées mortes sur les plages de la région. Sur une autre loutre autopsiée après sa mort, elle a constaté des lésions aux poumons, une atteinte au muscle cardiaque et le contenu de son dernier repas répandu dans ses tissus pelviens. Sans que l’origine de ces lésions, comme dans d’autres cas, puisse être clairement établie.

Depuis, et rapidement avec l’accord et l’appui des autorités et du Service des Pêches et de la faune sauvage, cette femme a pratiqué de nombreuses autopsies. Notamment après une hécatombe de mammifères marins : 45 baleines mortes échouées dans le golfe d’Alaska, dans le sud de l’État. Les prélèvements et les examens qu’elle pratiqua sur place faute de pouvoir emporter cet animal imposant pour pratiquer une autopsie à son cabinet, ne lui permit pas de trouver la cause exacte de la mort. « Le problème pour les baleines, expliqua-t-elle plus tard_, c’est que les cétacés peuvent apparaître comme extérieurement intacts alors que l’on se rend compte en les ouvrant, qu’à l’intérieur on trouve une véritable bouillie. »_

Maladies pulmonaires

Depuis ses débuts dans l’autopsie de la faune sauvage, Ketty Burek a disséqué des phoques, d’autres loutres de mer, des guillemots (oiseau arctique noir et blanc), un béluga sur une plage et un morse, mammifère marin dont le poids dépasse fréquemment une tonne. Pour ce dernier elle a découvert qu’il avait été infecté par un adénovirus, lequel s’attaque habituellement aux cerfs de Californie et provoque des maladies pulmonaires fréquemment mortelles. Elle a rapproché ces deux faits des rassemblements, souvent ravageurs, de milliers de morses entassés sur des plages et privés de nourriture. Ce qui n’explique pas pourquoi bon nombre d’entre eux, vivants ou morts arborent de plus en plus souvent des abcès sur la tête ou sur le corps.

Après avoir autopsié un ours blanc dans sa grange, à cause de l’odeur horrible, explique-telle, elle n’a pas pu non plus donner de causes irréfutables à sa mort. Comme si tous les animaux de cette région arctique étaient atteints par des nouvelles maladies ou des carences inconnues. Pas plus que, autopsies après autopsies, elle ne sait vraiment pourquoi des bisons de forêt sont de plus en plus efflanqués ni pourquoi elle constate qu’il y a de plus en plus de phoques émaciés. Ni non plus pourquoi depuis 2011, les phoques ocellés portent des lésions sur le museau, autour des yeux et sur les « nageoires ».

Hypothèses….

Cette vétérinaire avance plusieurs hypothèses après avoir vérifié que, depuis peu, les baleines du Pacifique rencontraient celles vivant dans l’Atlantique, « ce qui ne s’était pas produit le début de l’Holocène, soit depuis une dizaine de milliers d’années ». Ketty pense donc que toutes ces maladies frappant la faune se transmettent de plus en plus facilement d’une région à une autre en raison du changement climatique qui provoque de nouvelles affections ou carences. D’autant plus que le pic des maladies coïncide toujours avec ce qu’elle nomme « les accès de fièvre de l’Arctique ». Et elle explique à tous ceux qui la rencontrent ou l’appelle : « Je suis devenue aux yeux des gens et des spécialistes de la faune, un vétérinaire-détective et un bon détective doit pouvoir prouver tout ce qu’il soupçonne fortement. »