Une grève qui dure à la Fnac des Champs-Élysées

Les salariés de la Fnac des Champs-Élysées entament leur 39ème jour de grève. Ils revendiquent une « prime pénibilité » qui compenserait la difficulté d’exercice de leur métier dans ce magasin pas comme les autres.

Judith Perrin  • 23 janvier 2017
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Une grève qui dure à la Fnac des Champs-Élysées
© Nathan Alliard / Photononstop

Samedi 21 janvier, devant la Fnac des Champs- Élysées, des hommes-sandwichs dont les pancartes indiquent « 36 millions pour le PDG, Alexandre Bompard, rien pour les salariés », tiennent le piquet de grève. Cela fait 39 jours qu’un noyau dur de 30 personnes sur les 150 salariés se bat auprès de la direction pour obtenir une « prime pénibilité ». Benjamin Guyot, gréviste de la première heure, vendeur au rayon Jeux vidéos, élu au CE et membre de la CFDT explique « qu’à l’exception de la direction et des cadres dont l’effectif est de 50, la majorité des employés en magasin soutiennent le mouvement ». Si tous ne font pas grève, plus de 70 d’entre eux alimentent régulièrement la caisse de solidarité.

Pénibilité du travail dans cette enseigne-vitrine

Cette « prime pénibilité », pour les grévistes, doit compenser les difficultés qu’ils rencontrent à travailler pour cette enseigne, laquelle fait office de « vitrine internationale » de la marque. Comme de nombreuses boutiques sur l’avenue de renom, la Fnac, située au 74, est ouverte tous les soirs juqu’à minuit, ce qui oblige ses salariés à se soumettre à des plannings en dents de scie. Les nocturnes étant assurées sur la base du volontariat, un même employé peut « bosser de 9h à 17h le lundi mais de 16h à minuit le mardi », autant de changements de rythme lourds de conséquences sur « la vie sociale et la santé », dénonce Benjamin Guyot. Or cette Fnac est aussi ouverte le dimanche.

Une commission de suivi reportée aux calendes grecques

Cela fait plus d’un an que les employés en magasin, élus au CE, exigent l’ouverture d’une commission de suivi. Cette expertise scientifique concernant les dangers du travail de nuit, du dimanche, dans un environnement pollué et dans un sous-sol privé de lumière naturelle, conférerait plus de force à leurs arguments. La circulation est dense sur l’artère affluente des Champs-Elysées. La pollution s’engouffre à l’intérieur du magasin, auquel on accède par des escalators, une entrée grande ouverte sur l’extérieur. Quant au sous-sol, « sa salle de pause n’a pas de fenêtres ». Benjamin Guyot de renchérir :

« les logisticiens travaillent au – 2 avec les cafards ».

Depuis un an, la direction retarde la mise en place de cette commission, qu’elle a insisté pour rebaptiser « groupe de suivi », une formulation qu’elle estime peut-être moins offensive.

En grève contre le mépris de la direction

Si les revendications des grévistes se nourrissent des arguments sus-cités, objectivement liés à leur vécu de travailleurs, elles sont également renforcées par leur sentiment d’avoir été exploités par la direction, et victimes de ses stratégies dilatoires.

Le pot aux roses

En décembre 2014, à la suite à une erreur du centre de paiement, les salariés de la Fnac Champs-Elysées reçoivent un salaire supérieur à celui auxquels ils étaient habitués. Le trop-perçu sera repris, mais cette mauvaise manipulation leur a permis de découvrir qu’à travail égal (voire plus pénible étant donné le rythme effréné des Champs), cela faisait des années qu’ils étaient moins payés que leurs homologues d’Italie 2 ou du Forum des Halles. Au Châtelet, une prime de 50 euros brut par mois existe, destinée à compenser à la fois le travail dominical et celui exercé en sous-sol.

Stratégie de pourrissement

Si la direction accepte enfin de les recevoir au 35ème jour du mouvement, elle les avertit d’abord qu’un accord spécifique au magasin ne peut être signé : seul est envisageable un accord national. Finalement, elle cède sur une augmentation de 10 à 20 euros de leur prime, soit guère plus que les 30 euros brut qu’ils touchaient déjà. Sûrement consciente, qu’après un mois de lutte, les grévistes ne se satisferont pas d’une telle largesse, elle met en avant le caractère d’ « ultimatum » de sa proposition.

Passage en contrebande d’un réaménagement horaire

Les grévistes exigent toujours une prime plus importante. C’est le moment que choisit la direction pour leur annoncer un réaménagement horaire : à partir du mois de mars, le magasin fermera ses portes à 22h30 plutôt que minuit. A en croire Benjamin Guyot, la direction envisageait ce chamboulement depuis un an ou deux déjà. Inspiré par un souci d’économie, il va permettre de réduire les pertes de cette enseigne qui n’est pas viable économiquement, mais que le groupe Fnac maintient à titre de vitrine internationale. Très bien. Mais pourquoi l’annoncer maintenant ? Serait-ce un moyen de couper l’herbe sous les pieds des grévistes ? La compensation du travail de nuit étant le critère premier de leurs revendications.

M. Guyot émet une autre hypothèse : celle de l’instrumentalisation de la grève par la direction. Se doutant bien que la mesure de réaménagement horaire allait mettre les salariés en colère, elle a profité qu’ils le soient déjà (pour d’autres raisons) afin de l’imposer. Ni vu ni connu. Vive l’art de la contrebande !

Malgré ces mouvements dilatoires, les grévistes de la Fnac affirment ne rien vouloir lâcher, et restent fermes sur leur revendication d’une prime susceptible de compenser la difficulté de leur travail et le traitement méprisant de la direction.

Société Travail
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