« Certaines femmes », de Kelly Reichardt : Incertains regards

Dans Certaines femmes, Kelly Reichardt s’intéresse à la vie intérieure de ses quatre personnages sur un mode impressionniste.

Christophe Kantcheff  • 22 février 2017 abonné·es
« Certaines femmes », de Kelly Reichardt : Incertains regards
© Photo : DR

Le soleil perce la couverture nuageuse, ou plutôt, dirait-on, un point indistinct dans le ciel. Il ne réchauffe pas. » Ces premiers mots de Certaines femmes, le nouveau film de Kelly Reichardt, sont émis par le speaker de la météo diffusée par la radio locale. Nous sommes dans le Montana, cet État des grands espaces popularisé en France par Jim Harrison, symbolisé ici par une somptueuse chaîne de montagnes qui barre l’horizon – littéralement et, comme on le verra, métaphoriquement. Étrange compte rendu météo, aussi poétique qu’informatif, à l’image du cinéma hors des sentiers battus de Kelly Reichardt (Wendy et Lucy, Night Moves), dont le réalisme s’accompagne toujours d’une atmosphère particulière.

La cinéaste s’est inspirée de nouvelles de l’auteure Maile Meloy (non traduite en français) pour développer quatre portraits de femmes à travers trois épisodes presque indépendants les uns des autres, à quelques échos près. Mais, outre la région du Montana, ce qui lie profondément ces histoires, c’est le regard d’une grande délicatesse porté sur ces femmes, attentif au flux des sentiments qui passent sur leur visage, à leur solitude intérieure aussi.

Laura (Laura Dern), avocate, est pacifiquement « assiégée » par l’un de ses clients, Fuller (Jared Harris), pour lequel elle ne peut juridiquement rien bien qu’il ait subi un accident du travail lui ayant laissé des séquelles. Quand une nuit, au bout du rouleau, il prend un vigile en otage, c’est Laura qui va parlementer avec lui.

Gina (Michelle Williams), quant à elle, rêve de sa future maison posée près d’un petit cours d’eau. Elle ne se sent pas très soutenue dans la réalisation de ce projet par sa fille, en pleine crise d’adolescence, ni par son mari, dont on a vu dans l’épisode précédent qu’il avait Laura pour maîtresse.

Enfin, Jamie (Lily Gladstone), travaillant seule dans un ranch, entre par hasard dans une salle où Elizabeth (Kristen Stewart), elle aussi avocate, donne des cours de droit sur la scolarité. Le sujet lui est étranger, mais elle aime écouter Elizabeth, revient aux cours suivants, l’accompagne au snack. Puis Elizabeth repart chez elle dans la nuit, à quelques centaines de kilomètres de là.

La subtilité de la mise en scène de Kelly Reichardt n’a peut-être jamais été aussi évidente au vu de la ténuité et de la brièveté de ces intrigues. Ces femmes semblent aussi prisonnières d’elles-mêmes que subissant des dominations masculine ou sociale, sur lesquelles la cinéaste ne s’appesantit pas tout en en faisant sentir clairement le poids.

Certaines femmes est à l’évidence un film féministe, qui ne délivre aucun discours. L’ensemble est d’ailleurs très peu bavard. Plutôt que de leur accorder de longs dialogues, Kelly Reichardt préfère capter dans le regard de ses héroïnes leur désarroi ou leur mélancolie.

Face au désespoir prolixe de Fuller, Laura semble se mettre en veille et se montre compréhensive, presque maternelle. Il y a entre Gina et les autres comme un hiatus, un obstacle transparent, concrétisé à un moment par le reflet du paysage sur la vitre de la voiture où elle est assise, et qui dissimule son visage. Jamie a les gestes pour soigner les chevaux, mais elle n’a pas les mots pour dire à Elizabeth, tout occupée par sa vie professionnelle, ce qu’elle ressent pour elle. Dans une très belle scène, Jamie partage avec Elizabeth ce qu’elle a de plus cher : elle l’emmène à dos de cheval jusqu’au snack puis à sa voiture. À cet instant, Jamie éprouve le bonheur parfait – Lily Gladstone, actrice merveilleuse, est ici révélée.

Le cinéma de Kelly Reichardt est précieux, alliant subtilité et force intérieure, point de vue critique et tendresse. Certaines femmes en est la quintessence.

Certaines femmes, Kelly Reichardt, 1 h 47.

Cinéma
Temps de lecture : 3 minutes