La tragédie de l’indépendance

Christian Schiaretti poursuit son exploration du théâtre d’Aimé Césaire avec La Tragédie du roi Christophe. Une fresque grandiose.

Anaïs Heluin  • 1 février 2017 abonné·es
La tragédie de l’indépendance
© Photo : Cavalca presse

Habillés d’intemporels vêtements de pauvres, ils sont presque tous là, réunis autour d’un cercle où s’affrontent deux comédiens coiffés d’un masque en forme de coq. Soit une trentaine de comédiens pour figurer le peuple haïtien, sur une distribution de trente-sept personnes. L’ambiance est à la fête, mais une tension parcourt l’assemblée. Nous sommes en 1806, juste après la chute de Dessalines, et les coqs de carnaval ont pour surnoms « Pétion » et « Christophe », en référence aux deux hommes qui se disputent la succession du tyran : Alexandre Pétion et Henri Christophe.

Si, en 1964, année de son écriture par Aimé Césaire, La Tragédie du roi Christophe annonçait les tragiques décolonisations africaines à venir, la pièce questionne aujourd’hui les institutions démocratiques et le rapport de la France à ses ex-colonies à travers une poésie épique que le directeur du Théâtre national populaire de Villeurbanne considère comme une des plus belles et singulières du théâtre du XXe siècle. Une des plus injustement tombées dans l’oubli aussi, car, depuis son entrée au répertoire de la Comédie-Française, obtenue en 1989 par Antoine Vitez, La Tragédie du roi Christophe (1964) n’a que rarement été mise en scène.

Curieux du français de l’Autre autant que des français d’hier, Christian Schiaretti avait déjà honoré Césaire en 2013 avec Une saison au Congo. Ayant pour la plupart joué dans cette pièce, les comédiens de la Tragédie du roi Christophe manient la langue de Césaire avec une habileté et un plaisir d’autant plus évidents que la scénographie se résume à un plateau nu au fond duquel sont installés des musiciens avec leurs instruments. Au moment du couronnement de Christophe puis de la fête de l’Assomption seulement, des orgues se déploient sur le mur du fond – une projection vidéo, en réalité, mais dont l’allure grandiose se marie à la perfection avec les frous-frous des robes inspirées de celles de la cour française de l’époque.

Christian Schiaretti n’a pourtant aucun désir de reconstitution de la cour ni de l’environnement haïtien où se déroule la pièce de Césaire. Avec onze membres du collectif d’artistes burkinabés Beneeré, Marc Zinga, qui est un superbe et ambivalent Christophe après avoir été un tout aussi beau Lumumba dans Une saison au Congo, apporte à la pièce un imaginaire africain, sans ignorer sa dimension caribéenne.

Lorsque Christophe fait construire une citadelle par son peuple, on pense par exemple au tronçon de chemin de fer posé à partir de 1985 au Burkina Faso sous les ordres de Thomas Sankara. Christian Schiaretti et sa grande équipe prolongent ainsi le métissage des cultures pensé et pratiqué par Césaire, dont l’écriture survit largement au concept de négritude.

La Tragédie du roi Christophe, Aimé Césaire, jusqu’au 12 février au Théâtre national populaire, Villeurbanne (69), 04 78 03 30 00. Également du 22 février au 12 mars aux Gémeaux à Sceaux (92).

Théâtre
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