Le Nord, des mines aux géants

Dans le flot d’une programmation éclectique, trois films se sont distingués au Festival international des programmes audiovisuels, à Biarritz. En portant haut les couleurs de la culture ouvrière.

Jean-Claude Renard  • 1 février 2017 abonné·es
Le Nord, des mines aux géants
© Photo : Centre Historique Minier

L’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat (1895), des frères Lumière, marque le début du cinéma. C’est également la première image animée d’un train à vapeur dans une France bouleversée par la révolution industrielle, couverte de puits de mines et de chevalements, ponctuée de cathédrales de fer et de terrils. Le film des frères Lumière est aussi le préambule à ce documentaire, LÉpopée des gueules noires, de Fabien Béziat et Hugues Nancy [1]. Des premières heures, vers 1800, quand, de Carmaux à Lens, on quitte les champs pour la mine, avec le courage de descendre à plus de mille mètres sous terre, musette et loupiote à la main, jusqu’aux dernières fermetures en Lorraine, en 2004, filmées par les journaux télévisés.

Une histoire de sueur et d’hommes. Mais pas seulement, si l’on songe aux milliers de femmes venues épauler qui un père, qui un frère, souvent au triage, en surface, pour une besogne de crève-la-faim. Les mômes, eux, les galibots, dès l’âge de 7 ans, sont attelés aux chariots, pleinement inscrits dans l’imaginaire collectif, une mythologie ouvrière qui a évolué avec le temps et que livrent remarquablement Béziat et Nancy.

Cette Épopée, c’est une histoire de corons, d’estaminets, de coups de grisou, de silicose, de forçats polonais, italiens, puis marocains, de luttes, d’injustices et de solidarités, de longues grèves qui voient les ouvriers acteurs de la vie politique, d’un tissage social parsemé de traditions, entre fanfare, billon, tir à l’arc et pigeons cultivés amoureusement, symbolisant la fidélité. Âpre épopée puisant dans Germinal, habillée d’images d’archives en noir et blanc, d’albums familiaux, de clichés de Félix Thiollier, premier photographe à plonger dans les entrailles de la terre, à Saint-Étienne, dès 1870. Images rares qui disent l’essence ouvrière au turbin, dans un récit ponctué de témoignages actuels au cœur d’un paysage industriel tourbillonnant, prégnant, quasi étouffant.

Si ce film est un chant du cygne trempé d’émotion, il ne cède rien au misérabilisme ni à la spectacularisation d’un motif qui aurait pu s’y prêter (parce que c’est esthétique, une gueule noire). Il est dans l’empathie, mais sans nostalgie. Plutôt dans l’immense respect.

Avec plus d’une centaine d’œuvres présentées, entre fictions, séries, documentaires et reportages, il n’existe jamais au Festival international des programmes audiovisuels (Fipa) une thématique particulière qui se dégagerait. Ce n’est pas le propre d’un festival qui se veut un panorama de la production télévisuelle. Déployée entre le 24 et le 29 janvier, cette 30e édition s’est néanmoins distinguée par une tonalité particulière dans le documentaire, celle d’une fibre sociale et ouvrière. Mais loin de ce qui ressort le plus souvent sur le petit écran, loin des combats des Conti (Les Conti, de Jérôme Palteau) ou des employés d’ArcelorMittal (La Promesse de Florange, d’Anne Gintzburger et Frédéric Vrignon), avec des ouvriers en grève pour sauver leur emploi.

Avec L’Épopée des gueules noires, c’est donc un récit ample de la culture ouvrière que donnent à voir les réalisateurs. Enfants du terril, de Frédéric Brunnquell et Anne Gintzburger (encore elle), participe du même esprit, avec un autre regard d’auteurs. Que reste-t-il aujourd’hui des corons et des terrils, sinon des gosses qui les gravissent péniblement, au diapason d’une vie qu’il faut aller chercher douloureusement ? Sobre, émouvant pas moins, le documentaire se veut le portrait d’une cité minière délabrée, la 12/14, à Lens, à travers l’ordinaire des jours d’une mère écrasée par la vie et son désir de cohésion familiale, sacrifiée à ses deux mouflets de 15 et 10 ans. Deux gamins à l’accent taillé au hachoir, qui ont fait des ruines du Nord leur terrain de jeux.

Entre représentations allégoriques et détresse du quotidien, le film entend révéler une réflexion sur les effets dévastateurs de la pauvreté quand elle tient sur les frites et les plats de pâtes. Une misère à peine debout, affalée devant un poste alignant ses programmes de télé-réalité, dans le pourtour des usines désaffectées, les maisons abandonnées, les collines infertiles. Difficile de trouver une confiance en l’avenir dans cette mouise, de ne pas décrocher dans cette désolation.

Difficile mais pas impossible. Nourri d’images saturées de couleurs contrastant avec un ciel bas et lourd, La Parade, de Mehdi Ahoudig et Samuel Bollendorff, en témoigne. Avec un film heureux, un conte postindustriel, une histoire de charmeurs, tarentelle contre l’oubli. Celle d’un géant qui part en fumée, de Cloclo, d’une majorette, de pigeons voyageurs, de coqs de combat et d’une fanfare allègre, plastronnant avec ses cuivres et ses percussions.

Derrière des habits de circonstance vibrent des personnalités qui, toutes, tiennent à leurs passions glanées dans les traditions ouvrières du Nord, à l’ombre des terrils. Loin d’une image sociale qui ramènerait à une occupation désuète, Ahoudig et Bollendorff soulignent dans ces survivances des héritages fiers.

Curieusement absente de la télévision (parce qu’elle échappe à l’univers mental des programmateurs télé), la culture ouvrière existe encore, sans même le recours aux archives. Se prêtant aisément à l’image, entre trognes, paysages et récits, le matériau ne manque pas. Il suffit de savoir regarder, comme Mehdi Ahoudig et Samuel Bollendorff ou Frédéric Brunnquell et Anne Gintzburger. En ce sens, le Fipa 2017 était une cuvée d’exception.

[1] Diffusé le 31 janvier, sur France 2, encore visible en replay.

Cinéma
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