Pablo Iglesias reprend les rênes de Podemos

Après sa large victoire sur son numéro 2 Iñigo Errejón, le jeune leader fait triompher sa ligne radicale dans un parti en crise.

Laura Guien  • 15 février 2017 abonné·es
Pablo Iglesias reprend les rênes de Podemos
© Photo : PIERRE-PHILIPPE MARCOU/AFP

Les querelles intestines de Podemos n’auront pas eu raison de sa figure de proue. À l’issue du congrès de Vistalegre 2, primaires internes du parti organisées le week-end dernier à Madrid, Pablo Iglesias a remporté une incontestable victoire sur son numéro 2, Iñigo Errejón, qui l’affrontait sur une liste adverse. Le leader historique de Podemos est ainsi non seulement reconduit au poste de secrétaire général du parti avec 89 % des voix, mais sa liste « Podemos para todas » recueille également la majorité sur tous les documents politiques votés et 60,3 % des postes de direction. Une reprise en main totale d’Iglesias sur Podemos.

Qualifié de congrès de « refondation », Vistalegre 2 a marqué le point d’orgue de plusieurs mois de conflits au sein de la formation. Le parti est en effet traversé par trois lignes de fracture qui se sont cristallisées autour de l’affrontement Iglesias-Errejón. Une crise stratégique tout d’abord, issue des dernières élections générales espagnoles au cours desquelles Podemos, sous l’influence d’Iglesias et contre l’avis d’Errejón, avait tenté de dépasser les socialistes espagnols du PSOE en s’alliant avec le bloc communiste d’Izquierda Unida (IU). Un pacte qui n’aura permis au final ni de renverser le PSOE ni de battre la droite de Mariano Rajoy, et se sera soldé par la perte de plus d’un million de voix pour le parti d’Iglesias.

Jaime Pastor, fondateur historique de Podemos, également à l’origine de la formation marxiste Izquierda Anticapitalista représentée sur la liste « Podemos en Movimiento » à Vistalegre 2, décrypte l’épisode : « Errejón et ses sympathisants ont estimé que l’attitude face au PSOE n’avait pas été efficace. D’un autre côté, Iglesias et son entourage continuent de soutenir une alliance avec les communistes d’IU. » Même analyse de la part d’Iván Gil, auteur d’une biographie du secrétaire général de Podemos et journaliste à El Confidencial : « Iglesias entend approfondir les alliances par la création d’un “bloc historique” avec IU, d’autres forces alliées et les mouvements sociaux. Errejón, lui, est en faveur d’un Podemos comme force indépendante. Il estime que l’alliance avec les communistes les a acculés à gauche de l’échiquier politique et que le parti a perdu sa transversalité. »

Les querelles entre les deux têtes pensantes de Podemos portent également sur son modèle structurel : « Iglesias veut donner un poids plus important au secrétariat général tandis qu’Errejón, tout comme les anticapitalistes, est en faveur d’une proposition plus décentralisée et pluraliste », analyse Jaime Pastor. D’après Juan Domingo Sánchez Estop, candidat sur la liste « Podemos en Movimiento » et fondateur du cercle Podemos Belgique, une fracture plus grave existerait encore : celle entre l’hyper représentation de Podemos et la participation active des affiliés et des citoyens dans les choix politiques internes. « Le parti est en train de devenir pratiquement autiste, enfermé dans ses propres débats et des luttes de prestige entre ses deux grands chefs et leurs chapelles. » L’affrontement entre Iglesias et Errejón a en effet abouti à la création de deux partis dans le parti. « On retrouve des sous-cultures politiques différentes. L’entourage de Pablo Iglesias s’ancre majoritairement du côté des jeunesses communistes, tandis que celui d’Errejón vient plus du secteur de l’université », détaille Jaime Pastor.

L’existence de ces deux noyaux révèle une troisième grande fracture interne, à savoir un divorce idéologique puissant : « Podemos est divisé entre un choix de société qui remet en question le capitalisme néolibéral de façon radicale et le désir d’un retour à l’ordre social-démocrate, qui constitue aujourd’hui une sorte d’utopie des classes moyennes », décrypte Juan Domingo Sánchez Estop. Cette dernière thèse, portée par Errejón et son entourage, l’a ainsi conduit à opter pour le désenclavement de Podemos de la gauche radicale. « Errejón a opté pour un projet plus transversal, sorte de “gauche light” ne défendant que les sujets de sens commun, ou ayant un appui majoritaire », note Iván Gil. Un glissement idéologique vers le centre qui n’est pas sans entrer en résonance avec la candidature d’Emmanuel Macron en France. Mais en apparence seulement. « Le choix d’Errejón s’inscrit plus dans une version européenne du péronisme argentin. Ce n’est en aucun cas un conservatisme social-démocrate à la Macron », estime Juan Domingo Sánchez Estop.

Quelle que soit la ligne d’Errejón, son projet pour Podemos a avorté le week-end dernier. « La formation qui a gagné est celle qui a parié sur le fait de consolider sa position la plus à gauche avec un travail de politisation de la société civile », résume le politologue Sebastián Lavezzolo. Le succès du projet d’Iglesias laisse également poindre en négatif l’échec d’une autre stratégie de son numéro 2 qui, bien que présentant un projet concurrent, a soutenu la candidature du leader historique au poste de secrétaire général. « La tactique d’Errejón était d’utiliser Pablo Iglesias comme “signifiant vide”. Le sujet politique “Iglesias”, avec ses propres positions, importait très peu tant qu’il incarnait l’image d’un leader neutralisé, politiquement mort », relève Juan Domingo Sánchez. Une stratégie « un peu grossière », d’après Iván Gil, pour qui « Iglesias a finalement mieux réussi à imprimer le récit d’un duel pour atteindre le leadership ». Cette manœuvre ratée va sans nul doute coûter à Iñigo Errejón sa fonction de secrétaire politique de Podemos, voire celle de porte-parole, Iglesias ayant déjà prévenu qu’il souhaitait « féminiser la fonction ». Dans un mouvement de balancier propre aux lendemains d’élection, sa stratégie du « leader mort » risque aussi de se retourner contre Errejón : « Pablo Iglesias pourrait maintenir la figure de son opposant pour montrer qu’il fait un effort d’intégration, mais en diluant son courant de pensée. Errejón continuerait alors son trajet dans le parti, mais pas l’errejónisme », analyse Sebastián Lavezzolo.

Reste que, dans une formation ravagée par les luttes fratricides, Pablo Iglesias va désormais devoir résoudre l’équation complexe de reprendre le pouvoir sans s’aliéner une partie des militants, dont 33 % soutiennent toujours Iñigo Errejón. Le secrétaire général a désormais l’entière responsabilité de reconstruire un Podemos exsangue. À l’issue du congrès, son discours de conclusion allait dans le sens de l’apaisement : « Cette assemblée nous a donné un ordre : humilité et unité. Nous allons le suivre », a-t-il déclaré. Une maxime qui sera sans doute complexe à appliquer. « Cohabiter est exclu. Le gagnant va prendre le contrôle de Podemos », tranche Iván Gil. Même son de cloche chez Jaime Pastor : « À court terme, cela va être difficile de réunir le parti. Les plaies sont vives et il manque un leadership collectif. Iglesias seul ne peut pas reconstruire Podemos. » Cette fameuse unité, réclamée par les militants durant tout le congrès, dépendra sans doute de la manière dont le leader officiel va désormais gérer la pluralité à l’intérieur de l’organisation. « Une question qui a toujours généré des difficultés à tous les partis à gauche de la social-démocratie », comme le rappelle Sebastián Lavezzolo. Au milieu de toutes ces inconnues, un fait est désormais ancré : Vistalegre 2 a définitivement enterré le tandem Iglesias-Errejón, de même que sa stratégie initiale de « machine de guerre électorale ». Podemos ne sera plus jamais le même après ce congrès.

Monde
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