Yannick Jadot : « Nous ne sommes plus les seuls à parler d’écologie ! »

Yannick Jadot est sur le point de se désister en faveur de Benoît Hamon, disposé à intégrer dans son programme certaines réformes majeures souhaitées par les écologistes.

Patrick Piro  • 22 février 2017 abonné·es
Yannick Jadot : « Nous ne sommes plus les seuls à parler d’écologie ! »

Patent depuis des semaines, le ralliement de Yannick Jadot au très compatible Benoît Hamon, frondeur socialiste converti à l’écologie, offrirait au candidat EELV, à la peine dans les sondages et dans la collecte des 500 promesses de soutien, une belle valorisation politique de sa campagne. Quant au vainqueur surprise de la primaire socialiste, il gagne à se montrer rassembleur, une dynamique qui devrait accroître la pression sur Jean-Luc Mélenchon, le candidat de la France insoumise.

L’absence d’un candidat écologiste – une première depuis la campagne de René Dumont en 1974 – est soumise à l’accord entre Jadot et Hamon sur un programme commun. Le cas échéant, il devra être validé par la direction d’EELV puis soumis au vote des 17 000 militants de la primaire écologiste, d’ici à la fin de semaine. À l’heure où nous imprimons, cette plateforme de rassemblement intégrait notamment (ou presque) les promesses d’une loi de sortie du nucléaire, le bannissement des pesticides dans l’agriculture, l’abandon de l’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, de la ligne ferroviaire Lyon-Turin et peut-être du centre d’enfouissement de Bure, ainsi qu’un plan de relance de l’Union européenne. Les discussions achoppaient cependant sur la réforme institutionnelle. Les écolos veulent une assemblée constituante dans la mandature afin d’instaurer la proportionnelle intégrale pour l’élection des députés, une potion radicale qu’Hamon ne semble pas prêt à avaler. Vous avez rapidement qualifié les discussions avec l’équipe Hamon de très constructives et positives. N’aviez-vous pas intérêt, plus que lui, à ce qu’elles aboutissent ?

Yannick Jadot : Ce rapprochement a lieu parce que je considère de la responsabilité des écologistes et du candidat que je suis d’envisager toutes les possibilités de donner corps à ce que j’appelle une grande aventure politique, qui dépasse les ego et déborde les appareils – que rejette le public. Une telle perspective était inimaginable il y a quelques semaines, quand les débats promettaient de tourner autour de l’identité, de la sécurité et de l’islam. Et voilà que la victoire de Benoît Hamon à la primaire socialiste rend possible une grande dynamique politique ancrée dans un large projet commun bâti sur l’écologie, le social, l’Europe et la démocratie. Elle répondrait aussi à l’attente d’un renouvellement des idées, des pratiques et des personnes de la part de nombreux citoyens.

Mais un tel rassemblement ne se construira pas sur des propos électoraux : ça fait des décennies qu’on entend de grands discours écolos et que la planète ne s’en porte pas mieux. Et la cohérence d’une telle dynamique, dans le moment présent, ne découlerait pas d’un accord PS-EELV – incluant peut-être le PCF et, qui sait, la France insoumise. Nous avons donc travaillé à un projet commun clair ainsi qu’aux moyens de ses ambitions. Il ne suffit pas de vouloir lutter contre les perturbateurs endocriniens si l’on n’envisage pas notamment de sevrer l’agriculture des pesticides – c’est-à-dire changer de modèle et pas seulement interdire quelques molécules. Être en faveur de la réduction des consommations d’énergie et des renouvelables suppose évidemment une loi de sortie du nucléaire. Réformer les institutions, c’est aller vers la proportionnelle intégrale. Changer les rapports de force dans l’entreprise ? Imposons 50 % de salariés dans les conseils d’administration, etc.

En 2011, EELV avait signé avec le PS une plateforme programmatique, dont le candidat Hollande n’avait pratiquement pas tenu compte…

Un point essentiel dont nous n’avons pas encore discuté, c’est le récit des cent premiers jours, qui marquent l’histoire d’un quinquennat et ancrent d’entrée les ruptures annoncées. Ce qui n’est pas sérieusement engagé durant ces trois premiers mois devient plus compliqué par la suite. Au-delà du symbole, il s’agit d’une réalité de gestion au quotidien.

Quelles mesures verriez-vous prises dans ces cent jours rêvés ?

Tout d’abord, revoir à la hausse les ambitions de la loi de transition énergétique, en actant une sortie progressive mais définitive du nucléaire. Ensuite, une mesure levier pour la santé : le bannissement des perturbateurs endocriniens, qui enclencherait aussi un changement de modèle agricole.

Pour l’Europe, un plan de relance de 600 milliards d’euros par an pour répondre aux quatre crises de solidarité : Est-Ouest ; Nord-Sud (l’affaire de la Grèce est un exemple de sadisme dans la gouvernance de la zone euro) ; à nos frontières ; au sein de nos sociétés.

Un plan « zéro déchet » aurait un impact fort pour toute l’économie de la réparation, du réemploi et du recyclage, et contribuerait à relocaliser l’économie et des emplois dans les territoires.

Il y aurait aussi l’éducation, les quartiers, le revenu universel, la restauration du débat public, etc.

Et la réforme des institutions ?

Nous achoppons, avec Benoît Hamon, sur le principal, à savoir l’instauration de la proportionnelle. Deux partis verrouillent la démocratie depuis des décennies, c’est absolument mortifère. Certes, une telle réforme pourrait faire élire 150 députés FN. Mais le vrai risque n’est-il pas que ce parti remporte la majorité absolue dans un système à scrutin majoritaire ? La proportionnelle incitera chacun à prendre ses responsabilités, y compris en établissant des coalitions transparentes vis-à-vis des électeurs, et non pas négociées dans les couloirs – une perversité du scrutin majoritaire à deux tours.

Et les législatives ? Ne vous ramènent-elles pas à des arrangements d’appareils ?

J’ai toujours dit que je ne serais pas le candidat d’un accord EELV-PS sur les circonscriptions. Mon sujet n’est pas de protéger les sortants pour qu’ils puissent retrouver leur place. S’il doit y avoir une dynamique, elle devra déborder les partis et conduire à un « label » découlant de l’accord programmatique passé pour la présidentielle. Il pourrait être attribué à ces candidatures communes aux législatives se revendiquant de ce projet de rassemblement.

Et si Benoît Hamon défendait l’investiture controversée d’un Manuel Valls ?

C’est tout l’intérêt d’un label : certains s’en revendiqueront, d’autre pas. Ainsi, face à Manuel Valls, présenterions-nous un candidat EELV.

Votre retrait de la présidentielle, s’il était avalisé, ne donnerait-il pas raison à ceux qui doutaient de l’utilité d’une candidature écologiste ?

La bonne nouvelle, c’est que nous ne sommes plus les seuls à parler d’écologie ! Certes, on peut se morfondre de ne pas bénéficier au premier rang de cet intérêt populaire. C’est en partie un effet du jeu politique : un socialiste qui parle d’écologie, ça intéresse plus les journalistes que lorsqu’il s’agit de nous – mais nous en sommes aussi responsables… Et puis la parole écolo a été abîmée, déstabilisée par le quinquennat de Hollande. Mais, alors qu’il y a six mois à peine se profilait une répétition du casting de 2012, tout est bousculé, et il faut prendre la mesure de cette incroyable opportunité de construire un nouveau front.

Comment percevez-vous l’état d’esprit de votre public face à l’idée de faire cause commune avec Benoît Hamon ?

Cela correspond partout à une attente de notre électorat… tempérée par le traumatisme de se faire avoir comme en 2011 avec l’accord PS-EELV. Il y a aussi l’inquiétude de voir surgir une alliance avec les socialistes sur une répartition des circonscriptions. Ça perturbe beaucoup en interne. Mais, d’un seul coup, tout bouge ! Va-t-on rester sur notre couloir sans regarder sur les côtés ? N’est-ce pas le moment, non pas d’ouvrir un peu les fenêtres, mais de faire tomber les murs et de partir au grand large, sans savoir ce que sera la conclusion de cette recomposition politique ?

Vous avez finalement rencontré Jean-Luc Mélenchon à Strasbourg la semaine dernière. Anecdotique, alors que semble s’éloigner la perspective d’un accord à trois ?

Je ne crois pas. Nous avons parlé pendant près de deux heures, d’Europe essentiellement, pour clarifier nos positions et les dégager des petites phrases : je ne suis pas un « ultra-UE », il n’est pas un « ultranationaliste ».

Il ne s’agit pas de nier nos divergences, notamment sur la géopolitique ou la démocratie. Mais le conflit Jadot-Mélenchon doit-il déterminer la perspective d’un rassemblement qui peut gagner ? À un moment donné, notre responsabilité historique nous invite à des compromis. On peut tenir un discours très convaincant tout en déclinant des conditions qui rendent le rassemblement impossible. Nos ego ne doivent pas devenir plus forts que nos idées.

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