« La Vengeresse » de Bill Plympton et Jim Lujan : La justicière à la voix de velours

Accompagné de Jim Lujan, Bill Plympton s’écarte de son univers graphique pour absorber plus de références. Trash et drôle.

Ingrid Merckx  • 5 avril 2017 abonné·es
« La Vengeresse » de Bill Plympton et Jim Lujan : La justicière à la voix de velours
© Photo : ED Distribution

Rod Rosse a un peu la tronche d’un Woody Allen déguisé en Kojak et une mère rabougrie de partout sauf du ciboulot, qui répare des Taser et lui fait ses recherches Internet comme une data-détective haut de gamme. Il chasse la tête de Lana Marie Oswald, alias la Vengeresse, héritière d’un gang de motards fondé par ses parents. Ceux-ci sont morts dans un guet-apens quand elle était petite. Elle a maintenant 16 ans, et sa vengeance est à point. On lui en donnerait dix de plus avec sa silhouette en fumée de cigarette, sa bouche grenat en cul-de-poule, ses yeux verts et sa chevelure brune ondulée. Elle a deux particularités : l’amazone tire à l’arc mieux qu’une Comanche et sa voix est l’une des rares traces de douceur de ce huitième long-métrage de Bill Plympton.

Un opus encore plus déconcertant qu’à l’accoutumée. Mélangeant western spaghetti, série B policière et pop-culture, le cinéaste d’animation force la caricature jusqu’à saturation : aucun trait droit – ni sol, ni plafond, ni murs –, des personnages qui fleurent les bas-fonds et la mauvaise vie avec des têtes et des bustes énormes, et des jambes minuscules et maigrelettes. Prônant la lenteur quand les grands studios frisent l’hystérie du débit d’images, multipliant les plans fixes pour déplacer un élément maître comme une pupille passant d’un œil à l’autre dans un visage zoomé, Plympton ne s’interdit aucune fantaisie d’animation ou d’humour potache. Les personnages se traitent de « couche sale » et « d’hémorroïde poilue », un des motards fait exploser une cuvette de chiottes qu’il vient de trop remplir, et le film est parsemé de petits traits noirs qui font tomber sur les dessins comme des flammèches de gazon cramé ou des nuées de poils coupés.

On est loin du romantisme érotique des Amants électriques (2014) ou de la poésie mélancolique des Idiots et des Anges (2009). La Vengeresse a été réalisée avec Jim Lujan, animateur underground qui s’est occupé du scénario, du design et des voix, Plympton assumant l’animation. D’où peut-être, à 70 ans, un pas de côté par rapport à son univers graphique et sonore.

Ici, Tarantino et les frères Coen semblent avoir passé un deal dans une Californie dépravée où un sénateur véreux, ancien catcheur nommé Deadface, fait sa loi entre une secte d’illuminés, une gogo-danseuse reconvertie, un danseur de moonwalk souffre-douleur de bikers très seventies et des chasseurs de prime dégénérés qui se poursuivent de motels en coffee bars un peu gras, sans oublier l’incontournable désert brûlant où même les cactus font des doigts d’honneur.

La bande-son tous azimuts et des accents à couper au couteau rompent avec les borborygmes et onomatopées des autres films de Plympton. Bavarde, excitée et un peu trash, La Vengeresse transpire la nonchalance d’un Big Lebowski, la gaudriole d’un O’Brother et le féminisme jouissif d’un Boulevard de la mort ou d’un Kill Bill. Plympton et Lujan citent à gogo, se lâchent la bride en se tenant les côtes et ne respectent manifestement rien d’autre que la classe violente de leur jeune justicière.

La Vengeresse, Bill Plympton et Jim Lujan, 1 h 10.


Cinéma
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