Vincent de Gaulejac : « On est dans un ‘‘managérialisme’’ subtil »

Pour Vincent de Gaulejac, le nouveau gouvernement représente une alliance entre l’idéologie gestionnaire et un dialogisme qui pourrait s’avérer fécond.

Pauline Graulle  • 24 mai 2017 abonné·es
Vincent de Gaulejac : « On est dans un ‘‘managérialisme’’ subtil »
© photo : CHRISTOPHE ARCHAMBAULT/AFP

Un gouvernement aux ordres du Medef ? Pas si simple, estime l’auteur de La Société malade de la gestion (Seuil, 2005). Selon lui, « l’éthique de résultat » portée par l’idéologie gestionnaire est certes censée transcender les clivages politiques et souder ce nouveau gouvernement sous la houlette du manager en chef, Emmanuel Macron. Néanmoins, explique-t-il, la recherche d’une « troisième voie » politique est aussi à l’ordre du jour.

Que vous inspire la composition de ce nouveau gouvernement ?

Vincent de Gaulejac : Je le trouve très intéressant car il est à l’image d’Emmanuel Macron. Si je devais faire le portrait de Macron, je l’appellerais « Le philosophe et le manager », car c’est un personnage finalement plus double, plus complexe qu’on ne le croit. D’un côté, il exprime une pensée très sociale-libérale, une conception très « corporate government » où seul compte le pragmatisme. La France est considérée comme une entreprise qu’il faut mener à la réussite : il n’y a plus de classes sociales, plus d’antagonismes, plus de positions idéologiques. Voilà pour le versant « manager »… Néanmoins, il a une autre face : il est imprégné de ce courant philosophique, le « personnalisme », qui consiste à penser en faisant coexister les contraires, comme le montrent ses nombreuses références à Paul Ricœur, à Emmanuel Mounier [le fondateur de la revue Esprit_, NDLR]_, ou à Amartya Sen [économiste nobélisé pour ses travaux sur les inégalités et les nouvelles théories du développement, NDLR].

Avec Macron, on est donc dans un « managérialisme » assez subtil, qui est en réalité non pas dialectique (avec l’idée d’aboutir à une synthèse), mais dialogique : ce sont les idées contraires qui enclenchent le mouvement.

Mais, en l’occurrence, on se demande vraiment quel mouvement peut prendre un gouvernement « et de droite et de gauche », avec des gens si antagonistes politiquement…

Avec ce gouvernement, présenté comme une addition d’« experts » et de « talents », au-delà des clivages politiques, nous sommes en effet dans la novlangue managériale et l’idéologie gestionnaire : tout ce qui compte, c’est la compétence. La bonne gestion n’est ni de droite ni de gauche, puisqu’il s’agit d’optimiser le fonctionnement des organisations pour remplir des objectifs de performance. Pour Macron, il y a des politiques à mettre en œuvre. Comme en entreprise, il y a celles qui réussissent et celles qui perdent. Toutefois, on ne peut pas s’arrêter là. Il faut entendre plus finement ce qu’il dit. Ainsi, quand certains l’accusent d’être « au service » de la finance, Macron leur rétorque qu’il va « se servir de la finance » pour la mettre au profit du changement politique. « J’ai été banquier pour pouvoir gagner de l’argent et ensuite être libre de faire de la politique », dit-il en substance, prenant à contre-pied le « mon adversaire, c’est la finance » de François Hollande. Évidemment, il faudra voir concrètement si Macron arrive à faire une politique aussi subtile qu’il le dit…

Mais tout de même : une ministre du Travail DRH, ce n’est pas très subtil !

Là encore, il faut regarder de près la trajectoire de Muriel Pénicaud : elle a commencé comme responsable d’une mission locale, puis elle est passée par le cabinet de Martine Aubry, puis a été DRH chez Danone. Or, Danone n’est pas n’importe quelle multinationale. À sa création par Antoine Riboud, cette entreprise avait pour ambition de trouver l’équilibre entre la finance et le social, entre le capital et le travail, cette fameuse troisième voie. Et c’est aussi en tant que DRH chez Danone que Muriel Pénicaud a travaillé, aux côtés de Christian Larose, syndicaliste, et d’Henri Lachmann, chef d’entreprise, à un rapport sur le bien-être et l’efficacité au travail, en 2010, avec des propositions très intéressantes pour améliorer la santé psychologique au travail. Ce choix montre bien qu’Emmanuel Macron a essayé de trouver des gens qui sont dans les articulations, dans le dialogisme.

Que voulez-vous dire ?

Que ces ministres ne sont pas des gestionnaires « de base » : ils n’ont pas été seulement sélectionnés en vertu de leur performance. Regardez la ministre de la Culture : elle est certes l’éditrice qui a réussi économiquement en faisant d’Actes Sud une maison d’édition à succès. Mais elle est aussi une intellectuelle qui a défendu la littérature, a publié des Prix Nobel… Cette dualité-là, très présente chez Macron, est désormais au gouvernement. On verra bien ce que ce cocktail-là donnera…

Vincent de Gaulejac Sociologue.

Politique
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