Tu seras un homme, mon fils

En Syrie, dans des camps d’entraînement dédiés, Daech forme une nouvelle génération d’enfants soldats. Un documentaire factuel et glaçant.

Jean-Michel Véry  • 21 juin 2017 abonné·es
Tu seras un homme, mon fils
© photo : Thomas Dandois

Deux mômes d’une dizaine d’années, à genoux sur des matelas posés à même le sol, penchés sur une feuille blanche qu’ils s’appliquent à colorier de leur innocence perdue. Les chars en vert, les hélicos en bleu, les bombes en noir. Moussa et Youcef, deux frères, deux rescapés, extirpés du même étau, échappés d’un camp d’entraînement pour enfants du califat, en Syrie, et réfugiés en Turquie. « Au paradis, tu retrouveras tes parents, tu auras des jouets, des voitures, des ordinateurs, tout ce que tu veux », promettaient les membres de l’organisation terroriste. Foi de combattant.

Avec Ashbal, les lionceaux du califat, les deux réalisateurs, Thomas Dandois et François-Xavier Trégan, livrent les témoignages de gamins enrôlés par Daech dès l’âge de 4 ans, formés au maniement des armes et des ceintures explosives, confrontés aux exécutions barbares de l’État islamique (EI). « Pour se faire exploser, c’est le bouton rouge », explique Youcef, bravache, mimant le geste sur son ventre.

Cinquante-deux minutes de plans serrés sur des mains qui se tordent, de silhouettes à contre-jour, de lèvres qui se mordent, de silences appuyés. Des témoignages aussi de professeurs qui ont fui Deir ez-Zor, à l’est de la Syrie, et qui racontent la stratégie de Daech pour endoctriner les enfants. « Ils ont remplacé les manuels scolaires par leur propagande, interdit l’apprentissage de la langue arabe, des mathématiques, de l’anglais. Les programmes de CM1 et de CM2 ne faisaient plus que 20 pages. » Surtout, l’EI s’est attaché à séparer parents et enfants en entretenant un climat de terreur dans la ville. Les parents cloîtrés chez eux, ne restent plus que les mômes dans la rue. Que l’on attire par des petits cadeaux, des tours en voiture, des écrans, de la vidéo, de la drogue.

Autre terrible scène du documentaire, un membre de l’Armée syrienne libre (ASL), exfiltré à Athènes, montre sur son portable une vidéo où l’on voit un môme de 4 ans, marchant à peine, traverser une aire de jeu pour tirer trois balles à bout portant sur un homme d’une trentaine d’années attaché devant lui. Le petit pistolet lui est fourni par un combattant de l’EI, ganté et cagoulé de noir. À partir de ce moment, les réalisateurs ont fait le choix de ne laisser de cette scène sinistre que la bande-son. Le marmot hurlant fièrement « Allahou akbar » après l’exécution.

Sans voyeurisme, misant sur les silences et la sobriété, le film alerte sur cette génération d’après-Daech, livrée sur l’autel théologique de l’absurdité sacrificielle. Une génération qui prendra un jour la relève, en Syrie ou ailleurs.

Soirée Théma sur Arte : « Dans les décombres de Daech », Ashbal, les lionceaux du califat, Thomas Dandois & François-Xavier Trégan, mardi 27 juin, 21 h 50, 52 mn.

Cinéma
Temps de lecture : 3 minutes