Les cyclones et l’effet de sidération

Quelle catastrophe faudra-t-il subir pour qu’enfin l’humanité réagisse ?

Jérôme Gleizes  • 20 septembre 2017 abonné·es
Les cyclones et l’effet de sidération
© photo : Jose ROMERO / NOAA/RAMMB / AFP

Alors qu’Irma vient de frapper les 75 000 habitants de Saint-Martin et les 10 000 habitants de Saint-Barthélemy, Maria déferle sur les 400 000 habitants de la Guadeloupe et les 385 000 de la Martinique.

Ces cyclones, nous le savons, sont l’une des conséquences du réchauffement des eaux de l’Atlantique : ils ne peuvent naître que dans des eaux d’une température supérieure à 26 °C. À lui seul, Irma a battu plusieurs records, mais il n’est qu’un des signes avant-coureurs des catastrophes à venir. Pourtant, l’effet de sidération domine. Les États restent inertes devant la multiplication des événements climatiques. Ils répondent au mieux à leurs conséquences, mais ne s’attaquent jamais aux causes, à commencer par l’émission excessive de gaz à effet de serre. Quelle catastrophe majeure faudra-t-il subir pour qu’enfin l’humanité réagisse ?

Dans la revue Nature Climate Change, des chercheurs estiment qu’il n’y a que 5 % de chances pour que le réchauffement climatique soit limité à 2 °C par rapport au niveau préindustriel d’ici à la fin du siècle (objectif minimal fixé par l’Accord de Paris). Nous entrons dans une zone d’incertitude, car jamais la planète n’a connu de tels changements en si peu de temps. Le modèle économique productiviste conduit l’humanité sur des sentiers inédits. Aujourd’hui, il faut à la fois interrompre le mécanisme de dérèglement climatique et mener les politiques d’adaptation à ses effets déjà inévitables. Il faut sortir des énergies fossiles – qui produisent l’essentiel du gaz carbonique – et de notre modèle agroalimentaire – qui produit l’essentiel du méthane à travers les déchets, la surconsommation de viande, etc., et du protoxyde d’azote à travers les engrais.

Jamais l’humanité n’a été confrontée à une telle situation. Répondre à l’urgence nécessiterait un engagement sans précédent, comme ce fut le cas lors de la Seconde Guerre mondiale ou de l’envoi d’un être humain sur la Lune. Nous ne pouvons pas changer de modèle de production et de consommation, ni de modèle énergétique, sans consacrer d’énormes capacités humaines, scientifiques et financières à dépasser cet effet de sidération qui paralyse l’action politique ou la retarde dans d’incessantes discussions et des sommets inopérants.

Donald Trump et Emmanuel Macron sont les deux faces du même problème. Trump le climatico-sceptique nie les réalités scientifiques et défend un isolationnisme incapable de comprendre les effets interdépendants des modifications en cours. Macron le communicant préfère la réduction des déficits aux investissements qu’exigerait l’urgence climatique. Le primat de la dette sur le primat climatique nous fait perdre du temps. Or, en la matière, le temps perdu ne se rattrape pas, car nous avons affaire à des phénomènes thermodynamiques aux effets irréversibles. Plus l’attente sera longue, plus le coût financier et humain sera élevé. Et le cyclone Irma pourrait s’avérer n’être qu’un « paisible » ouragan au regard de ce qui adviendra durant les prochaines années.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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