Le désastre du nucléaire

En dépit des risques écologiques et financiers, la France est le pays où le poids du nucléaire civil dans l’approvisionnement énergétique est le plus important au monde.

Dominique Plihon  • 18 octobre 2017 abonné·es
Le désastre du nucléaire
© photo : CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Depuis les catastrophes de Three Mile Island en 1979, de Tchernobyl en 1986 et de Fukushima en 2011, les dangers extrêmes du nucléaire sont connus. Aujourd’hui, l’industrie nucléaire française traverse une crise profonde. Le dérapage du budget du nouveau réacteur EPR (réacteur à eau pressurisée) en est une nouvelle preuve : il a triplé par rapport au montant envisagé à l’origine, pour dépasser les 10 milliards d’euros dans le cas de l’EPR de Flamanville. Supposé fleuron de l’industrie nucléaire française, il est devenu objet de dérision.

Désastre industriel et financier, l’EPR n’aura finalement été exporté que dans trois pays : la Finlande (6 milliards d’euros de surcoût, neuf ans de retard), la Chine (où les cuves présentent les mêmes défauts que celle de Flamanville) et le Royaume-Uni (déjà 1,9 milliard d’euros de surcoût).

En réalité, l’industrie nucléaire est en déclin à l’échelle mondiale : selon la dernière édition du World Nuclear Industry Status Report, pour la quatrième année consécutive, le nombre total de réacteurs en construction a baissé, passant de 68 en 2013 à 53 en 2017, dont 20 en Chine. Le contraste avec les énergies renouvelables est saisissant : alors que la capacité nucléaire mondiale a augmenté de 9 GW (+ 1 %) en 2016, ces chiffres étaient de + 75 GW pour le solaire et + 53 GW pour l’éolien.

Le 11 septembre dernier, deux appels d’offres pour la construction de parcs éoliens géants en mer au Royaume-Uni ont été remportés pour un prix d’achat garanti de 57,3 livres le MWh (63 euros), soit deux fois moins cher que l’électricité qu’EDF espère vendre un jour aux Anglais avec ses deux réacteurs EPR en projet à Hinkley Point ! Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que les entreprises du nucléaire soient mal en point : faillite en mars 2017 de Westinghouse, filiale américaine de Toshiba et n° 1 mondial, pertes abyssales d’Areva (un cumul de 12,3 milliards de dollars en six ans).

En dépit de ces risques écologiques et financiers majeurs, la France est le pays où le poids du nucléaire civil dans l’approvisionnement énergétique est le plus important au monde. L’énergie nucléaire produit en France 75 % de la consommation électrique. Il y a plusieurs explications à cette inquiétante « exception française ». Il existe un ADN nucléaire dans la science et l’industrie françaises, forgé par de prestigieuses figures scientifiques comme Marie Curie. Le régime gaullien en a fait une promesse de puissance et d’indépendance, dans sa forme militaire et civile. Cet héritage idéologique explique en partie l’absence de tout réel débat public sur le poids excessif du nucléaire en France. Mais il y a aussi et surtout la puissance du lobby nucléaire, dirigé par les hauts fonctionnaires du prestigieux corps des ingénieurs de mines. Ceux-ci contrôlent les pouvoirs de décision. Anne Lauvergeon, d’abord à l’Élysée puis à la tête d’Areva, en est la parfaite illustration. La collusion entre les élites administratives et politiques explique pourquoi l’État français a encore injecté, en 2017, 7,5 milliards d’euros dans EDF et Areva, en état de faillite plus ou moins déguisée. Le nucléaire ne continue d’exister en France que parce qu’il est porté à bout de bras par des gouvernements irresponsables !

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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