Présidentielle russe : Alexeï Navalny seul contre tous et contre Poutine

Restreignant de plus en plus les accès à l’information et à Internet, mobilisant les hiérarques orthodoxes, brandissant la menace de l’inéligibilité de son adversaire, le président russe cherche une victoire incontestable et redoute l’abstention.

Claude-Marie Vadrot  • 2 novembre 2017 abonné·es
Présidentielle russe : Alexeï Navalny seul contre tous et contre Poutine
© photo : EVGENY FELDMAN / THIS IS NAVALNY PROJECT / AFP

L’homme dont Emmanuel Macron s’apprête à conforter la stature internationale au début de l’année prochaine sans (trop) lui faire de reproches sur sa conception des droits de l’homme, entre en campagne électorale pour l’élection présidentielle prévue au mois de mars. Celle-ci se prépare par de nouveaux contrôles et restrictions sur l’usage d’Internet. Ces mesures, légales bien évidemment, complètent la quasi-disparition de la presse écrite et une mainmise sur les chaînes de télévision. Les interdictions seront renforcées dès le 1er janvier 2018. Alors, maîtrisant l’essentiel de l’information, Vladimir Poutine, 65 ans, au pouvoir depuis l’année 2000, sera sans aucun doute réélu, mais il tient à s’assurer un score confortable et une abstention raisonnable.

Son seul concurrent, Alexeï Navalny, à peine sorti de vingt jours de prison, a repris immédiatement sa campagne électorale dans de grandes villes de Russie. Les courtes périodes d’emprisonnement qu’il a subies pour s’être obstiné à appeler ses partisans à manifester dans les rues, et ses condamnations avec sursis, ne lui laissent qu’une chance infime de participer à la présidentielle. Ella Pamfilova, présidente de la Commission électorale nommée en 2014 par Poutine, vient d’expliquer qu’en raison de ses antécédents judiciaires il ne pourra probablement pas se présenter avant 2028.

Le parti des voleurs et des escrocs

Le Kremlin ne s’inquiète donc pas vraiment du résultat de la campagne de son adversaire. Même si, cette fois, à l’imitation de ce qu’il fit pour obtenir 27 % des voix à Moscou, il s’est entouré d’une véritable équipe électorale. Pour le pouvoir, les prochaines réunions publiques de Navalny auront simplement valeur de caution démocratique, puisque son élimination probable ne devrait pas être « officialisée » avant la fin de l’année.

Navalny ne renonçant pas à une campagne axée contre « le parti des voleurs et des escrocs », c’est-à-dire Russie unie, le parti du Président, espère regrouper sous sa bannière tous les mécontents et les pauvres des régions lointaines. Ce qui explique qu’il ait commencé sa nouvelle tournée dans la ville d’Astrakan sur les bords de la mer Caspienne. Il s’agit là d’une province – comme la Sibérie, le Caucase ou les républiques autonomes de l’Oural –, où le dénuement et le sous-équipement en matière de services publics se situent de plus en plus à des années-lumière de la relative prospérité du Grand Moscou. Même si, à une centaine de kilomètres au nord de la capitale, il existe encore des villages où les maisons ne possèdent pas l’eau courante. De toute façon, même s’il peut réussir à fédérer ou cristalliser les mécontentements de la vie quotidienne, Navalny n’offre pas de programme politique précis.

Coup de main des popes

De crainte que sa campagne n’incite au moins à l’abstention, Vladimir Poutine a passé un accord discret avec le patriarche Cyrille, au pouvoir depuis 2009 : les popes doivent être mobilisés pour inciter leurs paroissiens à participer au scrutin présidentiel. Sans formellement désigner de « bon candidat », toute la hiérarchie est d’ores et déjà mobilisée pour donner un coup de main à l’homme fort du Kremlin. On assiste ainsi au retour d’une alliance qui existait déjà sous le régime communiste, époque pendant laquelle de nombreux popes étaient aussi souvent des agents du KGB. Autre similitude : comme sous le communisme, le « métier » de pope, même de base, ne procure que des avantages matériels. Ils sont donc de plus en plus nombreux, surtout dans les provinces pour prêcher dans les milliers d’églises construites depuis 1990.

Restent deux inconnues (relatives) dans le destin de ce scrutin de mars : d’abord la candidature de Ksenia Sobtchak, la fille de celui qui fut le patron de la mairie de Saint-Pétersbourg… quand Poutine y  ; et ensuite celle de Guennadi Ziouganov, éternel président du parti communiste depuis sa renaissance en 1993. Cela peut sembler anecdotique mais, à chaque élection, législative ou présidentielle, le PC russe pèse entre 13 % et 20 % des voix. Avant de se rallier à Poutine…

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