« The Prisoner », de Peter Brook : La douceur obstinée de la liberté

Peter Brook et Marie-Hélène Estienne présentent The Prisoner. Une fable qui touche par son épure et la qualité de ses silences.

Anaïs Heluin  • 14 mars 2018
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« The Prisoner », de Peter Brook : La douceur obstinée de la liberté
© Simon Annand

Le voyage, pour Peter Brook, est l’une des conditions du théâtre. Une démarche qui, depuis la création de son Centre international de recherche théâtrale (Cirt) en 1971, n’a jamais cessé de nourrir ses créations. D’en faire des lieux de cohabitation de différences parfois inconciliables dans le monde réel. Des temps utopiques de parole et d’action communes. Et ce qu’il entreprenne d’adapter des pièces classiques du répertoire européen (celles de Shakespeare, surtout, qu’il a presque toutes mises en scène) ou de grands textes et mythes d’ailleurs. The Prisoner, écrit et mis en scène avec sa fidèle collaboratrice Marie-Hélène Estienne, ne fait pas exception.

Bâtie sur un paradoxe dont témoigne son titre, cette pièce est une extraordinaire parabole sur la liberté. « Un choc qui nous ouvre à l’inconnu », écrit le metteur en scène dans son tout récent Du bout des lèvres [1]. Sur le plateau des Bouffes du Nord, créé et dirigé par Peter Brook jusqu’en 2010, on retrouve le cercle qui lui est cher. Celui qui place d’emblée son art dans la proximité du conte. Le comédien Sean O’Callaghan n’a qu’à s’y placer ; les quelques souches et bâtons dispersés sur le sol deviennent un territoire plein de mystères. Une forêt d’un pays lointain, où son personnage s’enfonce sous les conseils d’un sage nommé Ezéchiel (Ery Nzaramba). Et où il rencontre un homme seul, assis devant une prison depuis des années.

À 92 ans, après une centaine de mises en scène, c’est donc encore un étonnement que raconte Peter Brook dans The Prisoner. Une surprise proche de celle qu’il a lui-même éprouvée lors d’un voyage en Afghanistan en 1975, quand un maître soufi lui a rapporté l’histoire d’un homme condamné à fixer le mur d’une institution carcérale plutôt qu’à y être enfermé. Interprété par l’artiste sri-lankais Hiran Abeysekera, cet homme doit expier le meurtre de son père, lui-même coupable d’inceste avec sa sœur (Kalieaswari Srinivasan). The Prisoner est une pièce d’après les cris et la fureur. Un conte que Peter Brook et Marie-Hélène Estienne déploient avec une étonnante douceur. En laissant ouverte la question du péché.

« En un temps où tous les peuples ont été glacés, paralysés par tant d’horreurs, peut-on encore horrifier, faire frémir ? » Formulée dans le livre de Peter Brook cité plus tôt, cette question apparaît dans The Prisoner comme purement rhétorique. À la violence et à la rapidité de l’époque, la fable d’inspiration soufie oppose une recherche calme et obstinée de la liberté. Ce qui, sur scène, se traduit par une lenteur et une précision de chaque geste et de chaque mot. Par une succession de courts tableaux où le silence règne en maître.

Un « silence vivant », qui offre au spectateur et au comédien une perception de l’espace scénique d’une rare acuité. Et une nouvelle approche de l’« espace vide », notion dont Peter Brook n’a cessé de préciser et de redéfinir les contours tout au long de sa carrière. Le « fouillis d’autrefois » s’étant selon lui réfugié au théâtre « dans les thèmes abordés – et dans les acteurs eux-mêmes », il atteint une épure magnifique. Fruit d’une des plus grandes expériences théâtrales des cinquante dernières années. 

[1] Du bout des lèvres, Peter Brook, traduit par Jean-Claude Carrière, Éd. Odile Jacob, janvier 2018.

The Prisoner, jusqu’au 24 mars aux Bouffes du Nord, à Paris ; les 27 et 28 avril au théâtre Maurice-Novarina, à Thonon-les-Bains ; du 2 au 4 mai à la Comédie de Clermont-Ferrand.

Théâtre
Temps de lecture : 3 minutes
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