Le mirage de la concurrence

La concurrence est prônée plus comme une idéologie que comme un principe scientifique.

Jérôme Gleizes  • 11 avril 2018 abonné·es
Le mirage de la concurrence
© photo : GERARD JULIEN / AFP

Dans la théorie économique, les profits à long terme des entreprises ne devraient pas exister. C’est pour cela que les économistes défendent les vertus de la concurrence et surtout les hypothèses qui permettent ce résultat théorique : information parfaite, liberté d’entrer et de sortie sur le marché, nombre important d’acheteurs et de vendeurs, et homogénéité du produit ou du service. Le raisonnement est facile à comprendre. S’il existe un marché où des entreprises font des profits, cette information se diffuse. De nouvelles entreprises entrent sur le marché. L’offre augmente. Les prix baissent jusqu’à ce que le profit soit égal à zéro. C’est vers ce monde idéal que les économistes aimeraient que les marchés se dirigent, ce qu’Adam Smith avait résumé par : « Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais plutôt du soin qu’ils apportent à la recherche de leur propre intérêt. Nous ne nous en remettons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme. »

Jérôme Gleizes Enseignant à Paris-XIII
Bien que les faits démontrent que cette situation est rarissime, la concurrence est prônée plus comme une idéologie que comme un principe scientifique. En effet, selon le principe épistémologique de réfutabilité de Popper, cette théorie devrait être abandonnée. La concurrence est plutôt l’exception que la règle générale. Les entreprises, et surtout leurs dirigeants, auraient plutôt tendance à se protéger des situations concurrentielles qu’à les préconiser. Uber est l’exemple typique de ces détournements de la concurrence. Cette entreprise technologique américaine exploite une application de mise en contact d’automobilistes réalisant des services de transport. Elle met en concurrence des milliers de propriétaires de voitures attirés par cette source de revenus, mais, en faisant cela, elle baisse le prix des trajets et encaisse de plus en plus de commissions. La concurrence des uns fait le bénéfice d’Uber, de surcroît défiscalisé par sa délocalisation territoriale. C’est la fable du prolétariat de Marx modernisée, où la concurrence des travailleurs fait le profit des capitalistes, avec une subtilité : le nouveau capitaliste ne finance pas l’investissement – ici, la voiture.

Dans la théorie économique, les économies de réseaux comme le rail tendent à devenir des monopoles du fait des coûts moyens décroissants : plus le réseau est grand, plus le coût d’investissement se répartit. La dernière gare coûte moins cher que la première. Marcel Boiteux, ancien président d’EDF, a montré que la structure de prix relatifs n’est pas très différente, dans ces entreprises, de celle d’une entreprise privée. « La différence majeure est celle du niveau des prix : les prix sont plus bas, car l’objet de la régulation est de limiter le pouvoir de marché (1). » Le projet gouvernemental actuel va déstabiliser le réseau ferré français en faisant le cadeau des investissements passés déjà amortis par la collectivité nationale à des entreprises privées. Abrité derrière des mensonges économiques, c’est un projet idéologique au bénéfice des plus riches.

(1) « Comment réguler la gestion des infrastructures de réseaux ? Dix questions à Jean Tirole », Conseil économique pour le développement durable, 2015.

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