NDDL : L’État aveugle et sourd

La brutalité de l’opération de destruction sur la ZAD et le mépris affiché montrent qu’il n’a été tenu aucun compte des propositions avancées par les habitants.

Vanina Delmas  • 18 avril 2018 abonné·es
NDDL : L’État aveugle et sourd
photo : Aux Fosses-Noires, une barricade fait face aux gendarmes mobiles.
© Patrick Piro

La force et l’ordre. Le leitmotiv macronien, proche de la méthode Coué, s’est concrétisé par l’opération militaire détruisant 29 lieux collectifs de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Une quarantaine était visés au début de l’opération. Les images des tas de douilles de grenades lacrymos et le nombre de blessés, chez les gendarmes et chez les zadistes (1), ont montré que les grands moyens ont été employés. Les mots d’Emmanuel Macron prononcés lors de son grand oral face à Edwy Plenel et Jean-Jacques Bourdin, dimanche 15 avril, ont réaffirmé l’idée que se fait le président de la République des solidarités zadistes : « projet de désordre », « idée fumeuse », « colère illégitime »… Une brutalité physique décuplée par le mépris envers ce nouveau monde alternatif bâti depuis plusieurs années dans le bocage landais.

L’abandon du projet d’aéroport avait été salué par les opposants. La volonté de dialoguer aussi. Mais le comité de pilotage sur la gestion du foncier, qui s’est tenu le 19 mars, a refroidi le mouvement anti-aéroport car les discussions portaient exclusivement sur l’usage agricole des terres. L’association citoyenne Acipa a même refusé d’y participer. Le point de blocage est nettement apparu : les cases de l’administration sont trop étroites pour la diversité des expérimentations réalisées à NDDL.

Pour l’administration, un agriculteur doit être une personne individuelle avec une surface minimale d’installation, une adhésion à la Mutualité sociale agricole (MSA), un revenu annuel de 12 000 euros minimum et une autorisation d’exploitation délivrée par l’État. Une conception des projets ruraux aux antipodes des aspirations de la ZAD. Jacques Lemaître, président de la chambre d’agriculture de Loire-Atlantique, pointe l’ambiguïté qui, selon lui, cristallise les tensions : « À la ZAD, ils ne reconnaissent pas le statut individuel mais seulement la gestion collective, chose inacceptable pour nous. Il faut savoir que la moitié des exploitations actuelles de Loire-Atlantique sont collectives, comme les Gaec, mais, à l’intérieur, chaque personne a un statut individuel d’agriculteur. Le statut individuel permet notamment de désigner un responsable si jamais il y a des problèmes sanitaires sur l’exploitation ! »

Loin de l’image de radicaux bornés largement colportée, les habitants de la ZAD énumèrent les preuves de leur bonne foi pour rendre concrète l’ébauche de dialogue entamé avec l’État. En mars, l’ensemble des projets a été présenté oralement à deux reprises, à la préfecture et à la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM). Quatre jours avant l’intervention, l’« assemblée des usages » de la ZAD a fait parvenir à la préfecture une proposition de convention collective permettant de « pérenniser les différentes activités agricoles, artisanales, sociales ou culturelles à l’œuvre ainsi que les habitats » et confiée à une association ad hoc, « Pour un avenir commun dans le bocage ». Soit une alternative à la voie des conventions d’occupation précaire (COP) (2) individuelles exigées par la préfecture.

« Les habitants de la ZAD ont refusé l’identification individuelle des projets, parce que c’est la porte ouverte à la division, détaille l’un des habitants. La préfecture aurait eu beau jeu de sélectionner les plus “méritants” pour cibler l’expulsion des autres, notamment ceux qui ne font pas d’agriculture. Une vision des choses totalement à rebours de notre démarche collective, qui vise à inclure tout le monde. Et pour ça, nous avons besoin de temps. »

Maraîchage, plantes médicinales, élevage de brebis, de vaches laitières, production de bière, paysan boulanger… Six porteurs de projets tricotés au fil des années sont formellement installés. Au premier jour de l’intervention policière, la préfète Nicole Klein a évoqué dix dossiers, mais, dès les jours suivants, cette information était démentie, niée ou simplement tue lors de ses autres communiqués. Les zadistes concernés ne savent même plus comment réagir. « Je me suis rendu compte mardi, soit deux jours après le début de l’intervention policière, que je n’avais pas compris ce que la préfète attendait de nous !, confie Camille (3), pourtant officiellement installé, avec une affiliation à la MSA, une déclaration d’activité agricole. Nous n’avons rien reçu. Les autorités ont notre adresse, savent ce que l’on fait, alors qu’est-ce qui les empêchait de nous envoyer cette fameuse COP ? »

Quant au nouveau formulaire simplifié sorti du chapeau de la préfète, ces jeunes agriculteurs légalement installés ne savent même pas s’ils doivent le remplir ou non. « Comment déclarer un projet individuel alors qu’il faut désigner des parcelles qui ne sont pas attribuées ? » Le nouvel ultimatum très serré (les zadistes ont dix jours, jusqu’au 23 avril, pour renvoyer ce document) présage une nouvelle opération de force pour évacuer ceux qui n’auront pas répondu, autant dire presque tout le monde.

Énième preuve de la mauvaise gestion du dossier par l’État – ou de l’amateurisme permanent –, cette démarche simplifiée a déclenché l’ire des grosses organisations agricoles : la chambre d’agriculture, la FNSEA 44 et les Jeunes Agriculteurs 44 ont dénoncé en chœur le changement d’axe de la feuille de route préfectorale. « Quel sera finalement le rôle du comité de pilotage et du comité professionnel dont le rôle prépondérant avait pourtant été réaffirmé par Mme la Préfète ? », demandent-ils dans leur communiqué du 13 avril. Ce comité professionnel, composé de syndicats agricoles sauf de la Confédération paysanne, est présidé par la chambre d’agriculture. Son rôle : travailler sur le volet purement agricole du dossier NDDL. Ce pôle de l’agriculture conventionnelle avait compris que la préfecture lui donnait un rôle majeur sur l’avenir des terres de la ZAD, et semble désormais en douter.

Mauvaise diffusion des informations entre les composantes de la ZAD ? Malentendu ou confusion volontaire de la préfecture ? Aveuglement de l’État ? Esprit de revanche après l’abandon du projet d’aéroport ? Il semble que le gouvernement, voire le Président, ait repris les choses en main, laissant sur le carreau la préfète et l’espoir du dialogue. Dans tous les cas, deux temporalités, deux projets de société s’affrontent et demeurent incompatibles pour le moment. Après avoir déployé des moyens considérables pour évacuer la ZAD et briser le début de confiance, difficile de croire que le gouvernement ait sincèrement envie de dialoguer.

(1) En une semaine : plus de 60 gendarmes blessés, selon Emmanuel Macron, au moins 148 personnes prises en charges par le « groupe médic » sur place.

(2) COP : droit d’occupation qu’un propriétaire consent à un locataire en contrepartie du versement d’une redevance pour un délai connu et accepté par les deux parties.

(3) Prénom modifié.

Écologie
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