Notre-Dame-des-Landes : des régularisations au compte-gouttes

Quinze projets agricoles de la ZAD ont été validés par l’État mais cela n’apaise pas les craintes des habitants. De nouveaux soutiens de renom émergent.

Vanina Delmas  • 15 mai 2018
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Notre-Dame-des-Landes : des régularisations au compte-gouttes
© photo : Fred TANNEAU / AFP

Le défilé du gouvernement n’en finit pas à Nantes : après la ministre des Transports, celui de l’Intérieur, de la Transition écologique et le Premier ministre en personne, c’est au tour du ministre de l’Agriculture. Stéphane Travert a participé le 14 mai au second comité de pilotage (Copil) sur la gestion des terres de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Aucun doute sur le fait que « la vocation agricole » de ces terres sera respectée.

Le 20 avril, les habitants avaient déposé collectivement une quarantaine de projets nominatifs, dont 28 purement agricoles. Le Copil a finalement décidé d’en valider quinze, leur donnant le droit de signer une convention d’occupation précaire (COP) « dans les prochains jours ». Cette régularisation concerne environ 170 hectares de terres agricoles sur les 270 demandés par les zadistes.

Comme on pouvait s’y attendre, le ministre de l’Agriculture s’est voulu rassurant… pour les agriculteurs. Pour ceux qui ont signé une COP, leur situation sera à nouveau examinée et s’ils ont respecté les « engagements », ils pourront soit acquérir le foncier, soit bénéficier de baux ruraux classiques de 9 ans. Quels engagements ? L’adhésion à la MSA – la sécurité sociale agricole –, la mise aux normes sanitaires pour les projets de vente directe et d’élevage d’animaux, et l’obtention de la certification pour les exploitations biologiques. « Les règles s’appliquent à tous », a martelé le ministre. Fier de cette « réelle avancée », le ministre a enfoncé le clou en clamant qu’il n’a « pas l’habitude d’opposer les modèles agricoles » en prenant pour preuve sa visite le matin même au Gaec de la Rochelle à Rouans, une « exploitation qui innove », en présence de la FNSEA.

Du côté de Notre-Dame-des-Landes, les inquiétudes restent vives concernant les projets artisanaux et commerciaux qui n’ont pas été validés cette fois-ci, mais seront étudiés par les élus locaux. L’avenir de certaines activités agricoles légales et déclarées pourrait également être menacé car les terres en question sont convoitées par les anciens exploitants qui avaient touchés des indemnités. La ferme laitière de Saint-Jean-du-Tertre est l’une d’entre elles. « L’analyse, par les services de la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM), de l’ensemble des fiches projets déposées en préfecture début avril, dans ce cadre imposé, menace d’écarter la régularisation de trois fermes en activité depuis plusieurs années et dûment déclarées auprès de la MSA. Ce sont donc trois projets agricoles en activité qui sont directement menacés », alerte le collectif Copain 44.

Interdépendance des projets

La détermination des occupants et des soutiens de la ZAD reste solide. Quelques tracteurs vigilants montaient la garde et près de 200 personnes se sont attablées pour un pique-nique devant la préfecture de Nantes. Des associations environnementales (France nature environnement, Bretagne vivante et la Ligue pour la protection des oiseaux) viennent gonfler un peu plus les rangs de la résistance en demandant l’arrêt immédiat des opérations de police et un peu d’ouverture d’esprit de la part des autorités : _« Le Copil agricole ne doit pas servir à justifier de nouvelles expulsions à Notre-Dame-des-Landes, en triant les habitants sur les seuls critères agricoles, sans tenir compte des projets artisanaux et culturels, dont certains ont pour objet la protection de l’environnement. »

Dans un texte titré Tank on est là_, des habitants de plusieurs lieux de la ZAD (Moulin de Rohanne, la Rolandière, les 100 noms, la Hulotte, Saint-Jean-du-Tertre, les Fosses noires, la Baraka…) rappelle leur détermination à défendre ce commun qu’ils ont construit : « Certains analystes en ont conclu que le collectif effrayait les dirigeants. Ce n’est pas tout à fait vrai, les structures collectives existent, elles sont légales et parfois même glorifiées. Le problème, à Notre-Dame-des-Landes, c’est que le collectif qui fourmille ici n’est pas un simple agglomérat de personnes. C’est un commun qui a mis en échec durant cinquante ans les gouvernements successifs, un commun de résistance. Et ouvrir la voie au commun, c’est pour la préfecture ouvrir la voie aux résistances. » L’interdépendance des projets nés sur la ZAD reste leur leitmotiv. Le paysan boulanger a besoin des semences, de la culture de céréales, du meunier, de bois… Tout est lié.

De nouveaux soutiens se sont agglomérés pour défendre cette vision de la société au sein d’un « comité d’accompagnement et de conseil ». Quarante-trois personnalités de diverses nationalités, toutes liées au monde rural s’engagent à aider concrètement les projets qui se développent sur la ZAD. Parmi les quelques signataires, l’agronome Marc Dufumier, Olivier De Schutter, ancien rapporteur pour le droit à l’alimentation à l’ONU qui défend l’agriculture locale, Kevin Morel, auteur d’une thèse sur les micro-fermes à l’université catholique de Louvain ou encore Catherine Darrot, maître de conférences en sociologie rurale à l’Agrocampus Ouest de Rennes. « Ce n’est pas un simple appel ponctuel, c’est un engagement sur le long terme. L’objectif est de rester ensemble, d’élargir le comité pour prévoir des rencontres, imaginer toute une gamme de possibles concrets dans chaque domaine. Et aussi pour convaincre les autorités… », explique Nicholas Bell, membre de la coopérative européenne Longo Maï, dans les Alpes-de-Haute-Provence, depuis quarante-cinq ans. Son expérience au sein de cette coopérative agricole autogérée, et sa connaissance du monde de la forêt seront précieux pour travailler et préserver les arbres et les haies du bocage.

Le dialogue continue, les (bonnes) décisions sont prises au compte-gouttes mais les craintes d’une nouvelle séquence d’expulsions et de violences sur la ZAD ne sont pas apaisées. Lors de la conférence de presse post-comité, aucun calendrier n’a été annoncé, sauf la date du prochain Copil fixée en octobre, et aucune menace d’expulsion n’a été proférée même si le sempiternel « retour à l’état de droit » a été encore brandi. Les syndicalistes ont d’ailleurs lancé un appel à converger sur la ZAD en cas de nouvelles expulsions.

Écologie
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