Colum McCann : La plume en feu

L’écrivain irlandais Colum McCann ouvre son atelier et son cerveau dans des Lettres à un jeune auteur généreuses et libres.

Ingrid Merckx  • 18 juillet 2018 abonné·es
Colum McCann : La plume en feu
© photo : Ulf Andersen/Aurimages/AFP

Le feu. C’est ce qu’il faut pour écrire. Cela ne peut s’enseigner, mais Colum McCann s’attache avec une ferveur peu commune à délivrer une myriade de conseils à un jeune auteur sous forme de lettres sans retours. « Je », « tu », l’exercice n’a rien d’une correspondance.

L’écrivain irlandais chapitre ses essentiels : « Il n’y a pas de règle », « N’écris pas ce que tu sais », « Sois une caméra », « Échoue, échoue, échoue »… Sur le ton, peut-être, avec lequel il donne ses cours de creative ­writing à New York depuis vingt ans. Ils sont vernis, ses étudiants, s’il fait preuve de la même liberté et générosité en amphi.

Aux antipodes d’un magicien masquant ses trucs, l’auteur de l’incroyable Et que le vaste monde poursuive sa course folle ouvre sa boîte à malices, ses alambics d’alchimiste et son cerveau pour donner à voir ce qui l’agite au moment d’écrire. À cet instant où – « Ton cul sur ta chaise. Ton cul sur ta chaise » – il se bat contre le silence, le doute, la facilité, le cynisme, le mensonge…

La lettre devient miroir : « Écris sur ce que tu veux savoir. Mieux, braque ta plume sur ce que tu ignores. » L’adresse se fait introspective, comme s’il se parlait à lui-même, assumant le plus simple, le plus bête : « En réalité, je joue seulement les faire-valoir. La pratique et les années ne confèrent aucune sorte de supériorité. […] Mes conseils ne sont pas à la hauteur de ceux que j’aimerais recevoir… » L’effort de transmission le conduit à appréhender ses outils, chemins, difficultés et objectifs. Et la leçon, voulue comme une discussion en promenade, prend des allures d’incantations, les conseils se font mantras.

La transparence est cristalline chez Colum McCann, qui écrit ses lettres la main sur l’épaule du jeune auteur et l’autre sur la poitrine, Rilke et Gombrowicz dans le dos. Il s’y ressemble et y fait entendre distinctement la voix qui, d’ordinaire, se devine derrière ses textes. Se dressent alors des ponts entre ses recommandations et son œuvre. Des phrases qui « frappent à la poitrine ». De la « musique interne ». De l’empathie. Des personnages « sacs de nœuds, de chairs et d’os, qui brisent le cœur ».

Corrigan, le saint des vagabonds, Tillie la prostituée ou les enfants d’Ailleurs, en ce pays apparaissent dans l’atelier, tels des lutins. « Nabokov qualifiait ses personnages de “galériens” – mais c’était Nabokov, qui avait le droit d’affirmer ce genre de choses. En toute humilité, permets-moi de ne pas être de son avis. Tes personnages méritent que tu les respectes. » Philippe Petit et Noureev défiant l’apesanteur, l’un sur le fil (Et que le vaste monde…), l’autre sur la scène (Danseur).

Ces lettres sont presque un monologue intérieur poursuivi à un rythme qu’il serait ardu de suivre à voix haute, malgré ce que professe l’auteur. Ce qui fascine dans l’avalanche, c’est la sincérité et l’humilité de Colum McCann, sa recherche perpétuelle d’un ailleurs de pensée, son ardeur à la tâche, son humanité et sa politique du geste. À tel point que ces lettres confinent à la potion pour qui fait métier d’écrire, même si ça n’est pas de la littérature.

Lettres à un jeune auteur, Colum McCann, Belfond, 168 p., 16 euros.

Littérature
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