« On ne peut pas faire du “en même temps” sur les prisons »

Pour Cécile Marcel, derrière des discours encourageants, le projet de réforme pénale constitue finalement un recul dans la lutte contre la surpopulation carcérale.

Hugo Boursier  • 11 juillet 2018 abonné·es
« On ne peut pas faire du “en même temps” sur les prisons »
© photo : Aux Baumettes, à Marseille, en 2013. Pour l’opinion, une peine qui ne passe pas par une forme de souffrance ne serait pas une « vraie peine ».crédit : ANNE-CHRISTINE POUJOULAT/ AFP

Le président de la République entend incarner un tournant, une troisième voie entre un prétendu laxisme pénal et la case obligatoire de la détention. Pour autant, dans le projet de loi annoncé, Cécile Marcel ne constate aucune mesure efficace pour mettre un terme à une situation dramatiquement enracinée.

Quelle lecture faites-vous du projet de loi ?

Cécile Marcel : Une lecture plutôt critique par rapport aux intentions affichées, car le discours était assez fort. Il est rare d’entendre dire au plus haut niveau de l’État que la prison ne représente pas l’alpha et l’oméga de la peine, et qu’elle peut être un échec pour la société. Malheureusement, le texte final est très éloigné de cette philosophie. Nous craignons même qu’il ait un effet contraire à celui escompté. C’est aussi l’avis d’un syndicat de directeurs de prison inquiet d’une augmentation massive du nombre de détenus.

Que pourrait changer l’augmentation du parc pénitentiaire ?

La déception réside justement dans le fait que le gouvernement ne renonce pas à sa proposition de construction de prisons. Emmanuel Macron avait laissé entendre qu’il ne fallait pas s’arc-bouter sur les projets immobiliers. Or, 7 000 nouvelles places se retrouvent dans le projet de loi. On ne peut pas faire du « en même temps » sur cette question. On ne peut pas, dans le même temps, diminuer la surpopulation carcérale et construire de nouvelles places. Politiquement, c’est intenable, financièrement aussi puisque l’immobilier absorbe l’ensemble des fonds de l’administration pénitentiaire. Quand on construit, il n’y a plus de budget pour améliorer les conditions de détention du parc existant, et encore moins pour développer les alternatives à l’emprisonnement et la prise en charge de personnes en milieu ouvert.

Qu’y aurait-il de nouveau ?

La réforme est finalement très peu ambitieuse. En clair, on prétend au progrès quand il y a une régression. Pourquoi ? Aujourd’hui, la loi exige que les peines de moins de deux ans puissent être aménagées. Cela se concrétise par un rendez-vous avec le juge d’application des peines (JAP), qui peut décider d’aménager la peine pour la faire exécuter en milieu ouvert. Ce passage donne le temps aux équipes d’enquêter sur la situation de la personne et ses problématiques sociales. Dans le projet de loi, les peines d’un à deux ans sont exclues de ce processus, et pour celles de six mois à un an l’examen devant le JAP ne sera plus systématique.

Le texte passe-t-il à côté de son objectif : lutter contre la surpopulation carcérale ?

Nous constatons en effet un certain nombre d’oublis. Ainsi, le projet n’entend pas réfléchir sur les comparutions immédiates. Or, ce dispositif est l’un des moteurs de la surpopulation carcérale, avec un juge qui n’a que trente minutes pour délivrer sa décision. Dans ces conditions, il ne peut guère proposer d’alternative à l’emprisonnement. De fait, les recherches montrent que la probabilité d’aller en prison est huit fois supérieure lorsqu’une personne passe en comparution immédiate plutôt qu’en audience classique. Surtout, on observe dans ce projet qu’on ne sort pas de la référence prison. Pire, la probation, c’est-à-dire la prise en charge des personnes dans le cadre de peines non carcérales, disparaît de l’échelle des peines.

La situation française est-elle comparable à celle d’autres pays européens ?

La France est l’un des seuls pays en Europe dont la population carcérale augmente constamment, au contraire de l’Espagne, de l’Italie, de l’Allemagne, des Pays-Bas ou des pays scandinaves. Le Conseil de l’Europe regrette d’ailleurs que la France ne suive pas ses recommandations en matière de politique pénale. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) condamne fréquemment la France pour ses conditions de détention, mais il reste un inconvénient : cette cour ne traite que de cas individuels, que la France peut facilement indemniser. À l’OIP, nous avons lancé une démarche contentieuse auprès de la CEDH pour obtenir d’elle un arrêt pilote. C’est un dispositif qui peut contraindre la France à prendre des mesures sur le long terme. Cet arrêt pilote est motivé par un certain nombre de dossiers similaires, et il enjoint au pays concerné de prendre des mesures structurelles, en donnant des objectifs et des échéances très clairs. Plusieurs pays européens ont été concernés par ce type de décision, dont l’Italie en 2013, qui, dans la foulée, a vu baisser d’une dizaine de milliers le nombre de personnes détenues.

Où en est cette procédure ?

Nous n’en sommes qu’au début ! Nous avons déposé nos premières requêtes à la CEDH en 2015. Elles ont été transmises à la France, ce qui signifie que la Cour a estimé qu’elles étaient valables. Nous continuons de lui soumettre de nouveaux éléments et espérons obtenir une décision finale d’ici un an, sans préjuger du calendrier de la Cour.

La peine de probation, instaurée par la réforme de Christiane Taubira, manifestait-elle une forme de courage politique ?

Il y avait initialement une vraie volonté de réforme intéressante, avec une peine exécutée en milieu ouvert, déconnectée de la case prison. Ce qui était ressorti de la conférence du consensus mise en place par Christiane Taubira au début du quinquennat Hollande était contenu dans le tout premier projet de réforme, avant que ce dernier ne passe à la moulinette des arbitrages politiques pour finir vidé de son contenu. Les mesures qui sont restées ont été trop parcellaires pour porter leurs fruits sur le long terme.

De la même manière, dans les rapports censés préparer les « chantiers de la justice » présentés en ce début d’année, le volet sur le sens et l’efficacité de la peine comportait des recommandations relativement intéressantes. Écrites par Julia Minkowski, avocate, et Bruno Cotte, ancien président de la chambre criminelle de la Cour de cassation, elles abordaient la détention provisoire, les conditions de la comparution immédiate, l’échelle des peines, le rôle central à donner à la peine de probation… Mais le ministère de la Justice actuel n’a pas souhaité les reprendre.

Comment expliquez-vous que les conditions de détention intéressent peu l’opinion publique ?

Depuis les années 1990, la surenchère sécuritaire dans les discours a certainement forgé la nécessité ressentie de se protéger tout le temps et contre tout. Je suis convaincue que, si on expliquait au public que la société aurait tout à gagner à ce que les personnes condamnées soient prises en charge par des suivis personnalisés, qui permettraient une réelle réinsertion, limiter l’emprisonnement serait bien plus compréhensible. Mais ce travail pédagogique n’est pas fait, ce qui participe à créer une « culture punitive » en France. Un sondage de la Fondation Jean-Jaurès révèle que l’aspect punitif de la prison est la priorité pour 49 % de l’opinion publique, soit 28 points de plus qu’en 2000. Ce qui laisse à penser que la peine de prison rejoindrait aussi la nécessité d’un châtiment : une peine qui ne passe pas par une forme de souffrance ne serait pas une « vraie peine ». Or, on ne parle jamais des conséquences que cette conception a sur la société, ni de son coût. L’indignité dans les prisons et la violence institutionnelle font que les personnes incarcérées ne peuvent que renforcer leur haine à leur sortie.

Cécile Marcel Directrice de l’Observatoire international des prisons (OIP).

Société Police / Justice
Publié dans le dossier
Prisons surpeuplées, un mal français
Temps de lecture : 7 minutes