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Tu réinvites le raciste dans ton émission en sachant qu’il va encore dire des ignominies.

Sébastien Fontenelle  • 26 septembre 2018 abonné·es
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© photo : BERTRAND GUAY / AFP

Et donc : le raciste a encore fait un livre abject. Et toi, évidemment, tu l’as encore invité dans ton émission. Tu sais qu’il est raciste : tout le monde le sait. Tout le monde en parle, à chaque fois qu’il descend d’un nouveau degré dans l’abjection. C’est peut-être même, qui sait, pour ça que tu l’invites : parce que tu sais qu’il va proférer des atrocités et que ça fera parler de ton émission (1).

Donc, j’y insiste, parce que ça dit beaucoup de toi : tu réinvites encore le raciste, en sachant parfaitement qu’il va encore dire des ignominies – c’est booon ça, coco, ça va te doper le buzz pis que si tu recrutais parmi la gauche médiasceptique. (Je me prends à supputer que, si tu avais vécu ta vie de divertisseur dans la première partie du siècle dernier, t’aurais pas rechigné à traiter le si corrosif M. Doriot.)

Et bien sûr, le raciste a fait dans ton émission ce qu’il fait toujours – ce pour quoi tes pair·e·s et toi le conviez, je soupçonne, si régulièrement : il a touillé de la haine. Et toi, tu l’as laissé faire. Tu l’as laissé dire. Enlarge your audience !

Mais, quand même, t’as finalement coupé au montage la plus infâme séquence de son odieux happening. Ce qui te gêne, je soupçonne, c’est pas tant qu’un salopard vomisse des abominations depuis le fauteuil où tu l’as si complaisamment installé que le fait que ça pourrait, par un coûteux ricochet, t’exposer à d’éventuelles poursuites judiciaires (2). Pour incitation à des trucs un peu laids, genre. Et, comme la place me manque, je garde pour une prochaine fois ce que m’inspirent tes justifications, sur le thème mais-attendez-le-raciste-vend-des-livres-alors-pourquoi-que-je-l’inviterais-pas ? (Je te rappelle tout de même que toutes les semaines, ou presque, d’excellents bouquins paraissent, qui dénoncent précisément les phobies dans lesquelles ton hôte récurrent baratte son fanatisme. Mais, curieusement, tu donnes parfois l’impression d’être moins impatient de recevoir leurs auteur·e·s (3) que de faire la promotion de ce sinistre mec.)

La place me manque, disais-je : il me reste juste assez de mots pour te dire que je me demande encore si tu es un ou un– et que j’ai coupé au montage quelques mots de cette chronique, comme tu l’auras sans doute relevé : prends-le vraiment comme un hommage.

(1) Et si c’est bien l’explication, ça marche, tavu ? Sans quoi je serais plutôt en train de narrer ici, comme j’en avais formé le projet, l’espèce de fureur un peu inquiétante qui s’empare de Frédérique Calandra, maire « de gauche » – c’est elle qui le dit, c’est forcément vrai – du XXe arrondissement de Paris, à chaque fois que son chemin croise (de très loin, pourtant) celui de Rokhaya Diallo – et de quelques autres militantes féministes et antiracistes.

(2) Ou, qui sait, à d’éventuelles admonestations de ton employeur – qui n’est pourtant pas spécialement regardant, pas vrai ?

(3) Il est vrai aussi – je te concède bien volontiers ce point – que tou·te·s ne rêvent peut-être pas d’être vu·e·s sur ton plateau.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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