« Le Bûcher », de György Dragomán : Tranches d’étrange

Dans la Roumanie post-communiste, le quotidien d’une adolescente et d’une grand-mère peu ordinaires.

Anaïs Heluin  • 25 septembre 2018 abonné·es
« Le Bûcher », de György Dragomán : Tranches d’étrange
© photo : Leonardo Cendamo/Leemage

Que mettre à la place des portraits de Ceausescu qui laissent sur les murs les traces d’une longue dictature ? Telle est la question qui traverse Le Bûcher de György Dragomán, second volet d’un triptyque consacré à la dictature roumaine. Après Le Roi blanc (Gallimard, 2009), où il confiait la description de la Roumanie des années 1980 à un enfant dont le père avait été enlevé par la police politique, l’auteur donne les rênes du récit à un personnage à peine plus âgé et guère davantage gâté par l’histoire. Soit Emma, 13 ans, pour qui la chute du dictateur survient juste après la mort de ses parents dans un accident de voiture.

Le roman s’ouvre sur l’arrivée à l’orphelinat d’une inconnue qui se présente comme la grand-mère de la narratrice. Pour l’adolescente, c’est la table rase. De même que pour le lecteur, qui découvre à travers ses yeux le petit village éloigné où l’emmène l’aïeule. Ses deuils et ses tentatives de relèvement. Tout au long des 500 pages, Dragomán reste à hauteur de sa jeune protagoniste. Pas plus qu’il ne nomme le défunt dictateur, il ne met de mots sur les traumatismes d’Emma, qui déploie face au drame des talents et un imaginaire fécond.

Dans Le Bûcher, prosaïsme et surnaturel se mêlent de manière singulière. Récit du quotidien vécu par les deux femmes, le roman décrit dans une langue belle et elliptique une suite de rituels apparentés à de la sorcellerie. Un parcours ponctué de symboles mystérieux qui marquent l’entrée de la narratrice dans l’âge adulte et l’hésitation de la Roumanie au seuil de la démocratie. Autant que l’apprentissage du dessin et de la course d’orientation, qui permet au personnage de mesurer sa liberté d’expression, les gestes étranges que lui enseigne sa grand-mère disent la nécessité d’une réinvention totale de l’existence et des manières d’en faire la chronique.

Le Bûcher, György Dragomán, traduit du hongrois par Joëlle Dufeuilly, Gallimard, 527 pages, 24 euros.

Littérature
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