Migrants : contorsions et mauvaise foi

Sur la question de l’accueil des migrants, on assiste à une vaste opération de propagande des conservateurs, la directrice de Marianne Natacha Polony en tête. Nous lui répondons.

Pouria Amirshahi  • 15 octobre 2018
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Migrants : contorsions et mauvaise foi
© photo : NATHALIE ENO / PHOTO12

Par ces temps mauvais, défendre la cause des migrants, damnés parmi les damnés, est ardu. Leurs avocats sont renvoyés dans les cordes avec docte mépris par la majorité des gens bien mis.

Accusés tantôt de ne pas s’intéresser aux questions « plus importantes », tantôt de faire le lit des aubaines patronales, les 50 000 signataires de notre Manifeste pour l’accueil des migrants seraient même pour la _« fin des frontières » (ce qu’en anglais désormais les élites françaises appellent le no border) et un accueil « sans distinction » de tous les humains souhaitant s’installer en France demain matin. On assiste en réalité à une vaste opération de propagande des conservateurs, la directrice de Marianne Natacha Polony en tête, pressés de revendiquer leur sage réalisme et de « dire enfin la vérité » (!) sur les migrants, entraînant dans son sillage des éditorialistes de l’autre rive. Ainsi Laurent Joffrin, de Libération, s’est lui aussi senti autorisé de dire qui « a raison » (en l’occurrence Jean-Luc Mélenchon sur le contrôle de l’immigration et l’importance des frontières), en nous faisant porter une orientation qui n’est pourtant pas la nôtre.

Quelques phrases en particulier sont montées en épingle. Celle-ci, parmi d’autres : « Il est illusoire de penser que l’on va pouvoir contenir et a fortiori interrompre les flux migratoires. » Pourtant : est-ce que toutes les mesures de police, l’érection des murs, la surenchère des lois antimigrants qui se succèdent (presque) chaque année contiennent de quelque façon que ce soit les mouvements d’exil depuis les terres arides ou ensanglantées ? Non. Cette phrase également qui affirme que « la liberté de circulation » est un « des droits fondamentaux de l’humanité ». Que cela ne plaise pas à la réaction, soit, mais en quoi ce principe universel fondamental de l’internationalisme et de la fraternité humaine – largement encadré par le droit au demeurant – est-il une entorse aux souverainetés démocratiques ? En rien.

Dans son effort intellectuel pour saper une démarche humaniste, parce qu’il semble de bon ton de moquer les « bons sentiments », notre consœur de Marianne nous reproche d’être des « soutiens aux politiques de dérégulation » libérale. Message transmis aux « gentils pétitionnaires », Philippe Martinez ou Attac, célèbres suppôts du libre-échangisme…

Ces effets de rhétorique ne masquent pas la réalité de l’alignement de ceux qui les énoncent sur la doxa dominante, pétrie de la mièvre et hypocrite devise, fermeté et humanité, qu’on nous sert depuis bientôt trente ans, de Jean-Louis Debré à Gérard Collomb – et souvent réduite à son premier terme par les gouvernements.

Le réalisme est de notre côté, qui voit que les migrations forcées vont augmenter dans les prochaines années. Diplomates, militaires, humanitaires… tous le savent, tous le disent. Ce même réalisme nous fait d’ailleurs répéter, à la suite du démographe François Héran, que 70 % de la migration d’Afrique subsaharienne a lieu… en Afrique subsaharienne, et seulement 15 % en Europe. Notre Union de 511 millions d’habitants peut donc honorer le défi de l’accueil de 5 millions de personnes. Ne pas le dire au nom du fait que l’opinion (pénétrée par celles de nos ennemis depuis trop longtemps) ne serait pas prête à l’entendre est un renoncement même à la politique et à l’esprit de raison qui guide toute pédagogie républicaine.

Le réalisme est toujours de notre côté quand nous affirmons qu’une politique publique du secours et de l’accueil est possible : aussi imparfaite fût-elle, l’opération Mare Nostrum, décidée par l’État italien et qui a même mobilisé l’armée, a permis, en 2013-2014, de sauver 150 000 personnes… en un an. Était-ce « réaliste » de laisser l’Italie seule, de blâmer le pays, jusqu’à faire le jeu, trois ans plus tard, de l’extrême droite ?

On nous dit que prôner l’accueil ne suffit pas. Voilà bien pourquoi le Manifeste revendique l’accès aux droits, pour justement éviter toute concurrence avec les travailleurs déjà établis. Et d’ailleurs, puisqu’il est question des droits ouvriers, Marianne devrait savoir que ce ne sont pas « les travailleurs détachés qui constituent le système de dumping social », mais le principe du travail détaché. La psychanalyse nous a appris que les mots sont porteurs de projets…

Nous nous inscrivons dans la tradition d’un journalisme témoin, d’alerte et totalement engagé en faveur de notre triptyque national. Pas plus, mais surtout pas moins. Nous portons une exigence de vérité et une éthique de l’engagement. Comme, avant nous, ces journaux et reporters qui firent l’honneur de la profession, quand d’autres se croyant de « vrais patriotes » renvoyaient dos à dos les fascistes et le Front populaire. On doit toujours débattre, mais en affirmant « dire enfin la vérité » pour finalement n’en dire aucune, Natacha Polony a, une fois n’est pas coutume, dépassé les limites de la mauvaise foi pour basculer dans l’ignominie. Comment qualifier autrement le slogan « Ni Plenel ni Zemmour » qui met un signe égal là où, même avec mille nuances, il est impératif de choisir ? Se posant en victime (qu’elle n’est pas), la directrice de Marianne s’émeut d’être accusée d’être « à l’extrême droite » (pas par nous en tout cas) à cause de ses « interrogations », tout en mettant en garde : « Et pendant ce temps l’extrême droite, la vraie, progresse inexorablement. » La vraie, la fausse… ? Voilà, précisément, notre inquiétude.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

Temps de lecture : 5 minutes
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