Mieux représenter : des idées et un tabou

RIC, proportionnelle, vote blanc… Ces innovations seraient sans grand effet si le pouvoir du président n’était pas remis en cause.

Michel Soudais  • 23 janvier 2019 abonné·es
Mieux représenter : des idées et un tabou
© photo : Philippe LOPEZ / AFP

À l’origine des revendications institutionnelles des gilets jaunes, une promesse inachevée de notre Constitution. Son article 2 proclame que le principe de la République est « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Quant à l’article 3, on y lit que « la souveraineté nationale appartient au peuple, qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Sont ainsi fixées les deux voies d’expression du peuple sous la Ve République.

Pour la première, l’expression indirecte par le biais de représentants élus, il est patent, s’agissant du Parlement, qu’ils ne représentent que très imparfaitement les courants idéologiques qui traversent la société, et encore moins la diversité sociologique des citoyens. D’où la défiance de ces derniers, privés en outre de tout recours contre leurs élus pendant un mandat. La seconde, l’expression directe via le référendum, est tombée en désuétude : dix consultations ont été organisées depuis 1958, dont la moitié au cours des onze premières années de la Ve République, mais aucune depuis le référendum sur le traité constitutionnel européen en 2005, dont le résultat a été bafoué moins de trois ans plus tard.

Depuis la réforme constitutionnelle de 2008, la France dispose en outre d’un « référendum d’initiative partagée ». En théorie. Car, si la réforme constitutionnelle de Nicolas Sarkozy avait prévu cette procédure, les lois ordinaire et organique qui en fixent les modalités n’ont été adoptées qu’en 2013, pour une entrée en vigueur au 1er janvier 2015. Et cette procédure, difficile à mettre en œuvre – elle nécessite le soutien d’au moins 185 députés et sénateurs et de 4,5 millions d’électeurs –, n’a jamais été utilisée.

Mieux représenter l’opinion des citoyens, suppléer les politiques de droite et de gauche qui ne servent plus l’intérêt général, rendre au peuple les moyens d’exercer sa souveraineté… Ces objectifs sont à l’origine de plusieurs propositions de réformes institutionnelles popularisées par les gilets jaunes. À commencer par la reconnaissance du vote blanc, qui ne serait plus seulement distingué du bulletin nul mais considéré comme un vote exprimé traduisant le rejet des différents candidats en lice. Avec pour conséquence l’annulation du scrutin si les votes blancs sont majoritaires et l’organisation d’une nouvelle élection avec de nouveaux candidats. Inscrite dans les programmes de sept candidats à la présidentielle en 2017 – mais pas dans ceux d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen –, cette reconnaissance est plébiscitée par plus de 80 % des Français dans les sondages. Offrir aux citoyens le moyen de récuser le choix qui leur est proposé ne se conçoit toutefois qu’en cas de participation massive, d’où la proposition, formulée notamment par Jean-Luc Mélenchon, de coupler la reconnaissance du vote blanc avec l’instauration du vote obligatoire.

Autre revendication, la proportionnelle, ou à tout le moins l’instauration d’une dose de proportionnelle, pour mieux prendre en compte les aspirations des citoyens. Souvent promise, jamais encore mise en œuvre, cette dose de proportionnelle est réduite à la portion congrue par Emmanuel Macron, dont le projet de réforme constitutionnelle ne prévoit d’élire que 15 % des députés dans une Assemblée nationale qui ne compterait plus que 404 élus au lieu de 577. Toutes les projections montrent qu’un tel scrutin n’améliorerait qu’à la marge la représentation des partis d’opposition. Il ne changerait rien au fait que l’équilibre des pouvoirs de la Ve République est en faveur du président. Il peut dissoudre l’Assemblée, mais celle-ci ne peut le renverser. En conséquence, les députés qui lui doivent leur élection et constituent la majorité de l’Assemblée agissent plus souvent comme des godillots que comme représentants du peuple souverain. Tant que le président conservera ce pouvoir, même les suppressions du Conseil économique, social et environnemental (CESE) et du Sénat et leur remplacement par une Assemblée citoyenne consultative ne changeront rien.

Ce n’est pas le cas du référendum d’initiative citoyenne (RIC), « constituant, abrogatoire, révocatoire et législatif », très prisé des gilets jaunes. Un outil capable de provoquer un vote pour créer une loi, l’abroger, mettre un terme au mandat d’un élu ou modifier la Constitution. À condition qu’on ne s’épargne pas de changer la Constitution pour rogner les pouvoirs démesurés du président de la République. Ce dont ni Macron, ni Le Pen, ni les vieux partis ne veulent.

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