Mission impossible à Gaza

Yves Aubin de La Messuzière retrace un long parcours de diplomate au Moyen-Orient et en Afrique.

Denis Sieffert  • 23 janvier 2019 abonné·es
Mission impossible à Gaza
© photo : Yves Aubin de La Messuzière et Yasser Arafat, le 7 décembre 2000 à Gaza.crédit : HUSSEIN HUSSEIN/PALESTINIAN AUTHORITY/AFP

La carrière diplomatique d’Yves Aubin de La Messuzière a failli finir avant d’avoir commencé. En 1970, alors qu’il n’était que jeune attaché de presse à l’ambassade de France à Amman, il a été pris sous les tirs de l’armée jordanienne, qui lançait sa grande offensive contre les factions palestiniennes. Remis de ses blessures, le jeune homme a aussi appris à cette occasion qu’il ne fallait pas trop compter sur le soutien de sa hiérarchie. C’est l’un des nombreux épisodes relatés dans les passionnants mémoires que publie ces jours-ci ce diplomate arabisant, et qui justifie à tout le moins le sous-titre de son livre : Un ambassadeur dans la tourmente.

En quarante ans de carrière, et des affectations au Yémen, au Tchad, en Irak, en Tunisie et même à Rome, Aubin n’a certes plus connu de semblables périls, mais il a dû affronter des crises régionales souvent aggravées par les rivalités franco-françaises et la confusion des donneurs d’ordre parisiens. Le récit qu’il fait de son passage au Tchad (1991-1994) est à cet égard édifiant. Nous sommes dans les années Mitterrand, et l’énumération des protagonistes vaut à elle seule son pesant de pétrole : une cellule africaine de l’Élysée bicéphale et dyarchique, une DGSE ne répondant qu’à une hiérarchie parallèle, des réseaux Pasqua teintés d’affairisme… Le tout sur fond de crise inter-tchadienne et d’ingérence libyenne. Aubin dénonce sans langue de bois « le soutien logistique de l’armée française » à un chef d’État, Idriss Déby, qui, en 2008 encore, s’est livré à une répression féroce contre l’opposition civile.

Mais, paradoxalement, l’une des missions les plus difficiles a été confiée au diplomate en mars 2008, alors que l’âge de la retraite avait sonné. Et pour cette raison même que la prise de contact d’un émissaire français avec les dirigeants du Hamas, organisation toujours classifiée « terroriste », ne pouvait être qu’officieuse. Parfait connaisseur du dossier israélo-palestinien, Aubin était évidemment tout désigné pour ce « voyage d’étude » qui se ferait « à titre personnel ». Les conversations avec les dirigeants du Hamas sont très encourageantes. Principal objectif : obtenir du mouvement islamiste qu’il reconnaisse les « acquis du processus de paix et Israël ». Au passage, Aubin tord le cou à pas mal d’images fausses sur le Hamas. Mais l’issue est sidérante. Alors que des fuites sont organisées dans la presse, le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, qui avait pourtant validé la feuille de route, vend la mèche et n’aura de cesse ensuite de dénigrer une mission « d’aucune utilité ». Fin 2008, Israël lance l’opération « Plomb durci », qui fera 1 330 morts palestiniens. Aubin comprend que le veto est venu d’en haut, à Paris, à Londres (Tony Blair) et à Washington. C’est l’une des leçons du livre de cet homme de conviction. Les donneurs d’ordre se révèlent souvent peu fiables quand ils ne sont pas carrément déloyaux.

Profession diplomate. Un ambassadeur dans la tourmente Yves Aubin de La Messuzière, Plon, 396 pages, 21 euros.

Idées
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