« Muances#2 » : Au diapason du monde

Le Grand Prix 2019 du festival Momix de Kingersheim (Haut-Rhin) a été attribué à Muances#2, un poème musical et sociologique dans lequel Camille Rocailleux se fait collectionneur de petites utopies.

Anaïs Heluin  • 19 février 2019 abonné·es
« Muances#2 » : Au diapason du monde
© photo : DR

Parmi la quarantaine de spectacles au programme de la 28e édition du festival Momix (31 janvier-10 février), Muances#2 n’était pas le plus orienté jeune public. Loin de là. Fondée en 2013 par le musicien Camille Rocailleux, E.V.E.R. ne fait pas partie des compagnies étiquetées enfance ni adolescence, de plus en plus nombreuses en France. Créée afin d’explorer les rapports possibles entre spectacle vivant et nouvelles technologies, elle est plutôt du genre rassembleur, au meilleur sens du terme. En lui attribuant cette année son Grand Prix, le jury du festival Momix a souligné un des axes forts d’une identité qui s’affirme d’édition en édition : la curiosité partageuse, réfractaire à tous les cloisonnements. Valeur dont l’univers de Camille Rocailleux est lui aussi imprégné d’une belle manière.

Dans Muances#2, l’artiste de formation classique – il a suivi un cursus au conservatoire national supérieur de musique de Lyon, puis a intégré plusieurs grands orchestres avant de s’ouvrir à d’autres disciplines – prend le parti d’une introduction frontale. Une vidéo, dans laquelle Edgar Morin dit en quelques mots son regard d’ombres et de lumières sur le monde, présente d’emblée l’objet de la pièce. Il s’agit de questionner la place de l’utopie à notre époque, sans céder au pessimisme ambiant. En donnant à voir et à entendre l’énergie, la capacité d’invention de ceux qui, chacun dans son coin du monde, proposent des solutions alternatives à des problèmes divers : menaces écologiques, discriminations et autres injustices, qui concernent souvent un groupe, un territoire précis.

Camille Rocailleux s’est donc fait traqueur de lucioles d’aujourd’hui. De lucioles 2.0. Parti à l’aventure non pas avec un sac à dos mais avec son ordinateur, il a glané des centaines de vidéos Youtube d’anonymes expliquant leurs luttes. Dans le montage réalisé par le vidéaste Benjamin Nesme, elles côtoient des images de catastrophes industrielles et de cauchemars urbains, qui forment pour Camille Rocailleux et ses complices musiciens Mathieu Ben Hassen et Bertrand Blessing un paysage contrasté où faire vibrer leurs instruments et résonner leurs chants. Installés entre deux écrans, ils sont littéralement des artistes au diapason du monde. Fruit de leurs explorations loin de leur culture musicale d’origine, leur rock profond métissé d’électro est une bagarre contre le désenchantement qui menace.

Impossibles à distinguer les uns des autres, les interprètes de Muances#2 se font tout aussi anonymes que les héros de leurs vidéos. Ils forment un groupe dont le fonctionnement horizontal fait penser à celui des collectifs de théâtre, dont le développement ne faiblit pas depuis une quinzaine d’années. Passant sans cesse d’un instrument à l’autre, en dialogue constant avec l’image, ils offrent à toutes les petites utopies collectées sur le web une perspective d’élargissement. De mise en réseau. Grâce à cette harmonie des disciplines, ils atteignent à une poésie qui porte leur pièce bien au-delà de son message. Et au-delà des âges.

Muances#2 le 22 février au Sax, Achères (78), 01 39 11 86 21, www.lesax-acheres78.fr Puis 12 mars au Théâtre de Thouars (79), 19 mars au Théâtre Jean-Lurçat à Aubusson (23), le 22 mars au Safran à Amiens (80), voir tournée sur compagnie-ever.com

Théâtre
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