Blues créole

Entre Guadeloupe et Louisiane, le groupe Delgres, mené par le guitariste Pascal Danaë, revisite avec finesse la tradition du « power trio ».

Pauline Guedj  • 5 mars 2019 abonné·es
Blues créole
© crédit photo : STEPHANE DE SAKUTIN/AFP

Power trio : deux mots qui ravissent les amateurs de rock. Une formation emblématique des musiques populaires américaines et du blues. On y trouve trois instruments, en général une guitare, une basse et une batterie. Trois artistes qui conversent et font se confronter une rythmique omniprésente et des jeux de guitare délicats ou enragés. De Jimi Hendrix Experience à Cream en passant par Nirvana et Prince version 1990’s, accompagné de Sonny Thompson et Michael Bland, autant de formations qui ont trouvé sur scène leurs expressions les plus euphorisantes, aux moments où l’improvisation enrichit les compositions originales et communique le plaisir de l’instant.

Delgres, l’excellent groupe créé par le guitariste Pascal Danaë, s’inscrit dans cet héritage : trois musiciens en dialogue qui privilégient la scène pour laisser transparaître leur connivence. Toutefois, dans son projet même, le groupe joue habilement avec son ancrage rock, lui conférant une saveur composite et engagée.

Dans Delgres, il y a d’abord un guitariste-chanteur, Danaë, qui opte ici pour une guitare à résonateur, le Dobro, aux sonorités rocailleuses. Il est accompagné par Baptiste Brondy, complice au sein de sa précédente formation, Rivière noire. À la batterie, Brondy impose ses frappes lourdes et son jeu subtil sur le charleston. Enfin, un troisième comparse joue d’un instrument plus inattendu. Danaë ne voulait pas de basse, préférant « un instrument qui vienne directement de la rue ». Le leader tombe sur Rafgee et son sousaphone. Ce tuba gigantesque donne à la musique un fond acoustique, une épaisseur qui l’inscrit dans un corpus de musiques traditionnelles.

En effet, pour Danaë, le sousaphone est un clin d’œil aux brass bands de La Nouvelle-Orléans, du carnaval. D’un côté, le guitariste souhaite s’installer dans la terre du blues, et celui-ci transpire des compositions, de son Dobro et du sousaphone. De l’autre, Danaë veut raconter son ancestralité guadeloupéenne. Il rend hommage aux musiciens de gwoka, aux rythmes des tambours ka, chante en créole et, pour baptiser le groupe, emprunte son nom à l’abolitionniste Louis Delgres.

La musique de Delgres retrace un parcours de créolité depuis la Caraïbe francophone vers le sud des États-Unis et met en poème l’expérience de ces populations globalisées, faite d’une exceptionnelle créativité, de colère mais aussi de douleurs lancinantes. Dans cette entreprise, la voix de Danaë porte des messages forts, émouvants, parfois militants, et le créole devient la langue rêvée d’un blues caraïbe, hybride, aux multiples références.

Power trio baroudeur, Delgres tourne à travers le monde depuis trois ans. La musique jouée en concert a précédé l’enregistrement de l’album, Mo Jodi, sorti l’année dernière, et c’est sur scène que le groupe est le plus convaincant. En mars, Delgrès enchaîne treize dates. Puis trois en avril. Autant d’occasions pour l’écouter.

Delgres en concert : 7 mars, Romans (26) ; 8 mars, Bourgoin-Jallieu (38) ; 9 mars, Auxerre (89) ; 15 mars, Draguignan (83), 20 mai, la Cigale (Paris). Tournée sur delgresmusic.com.

« Mo Jodi (Extended Gold Edition) » sera disponible le 15 Mars.

Musique
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