« La désobéissance civile peut fédérer »

La chercheuse Sylvie Ollitrault relève qu’une nouvelle génération rend très concret le combat climatique, qui n’agit pas en opposition aux gilets jaunes.

Vanina Delmas  • 20 mars 2019 abonné·es
« La désobéissance civile peut fédérer »
© photo : À la marche des jeunes pour le climat, le 15 mars à Paris.crédit : Benjamin Mengelle/AFP

Chargée de recherche en sciences politiques au CNRS, Sylvie Ollitrault décrypte les mécanismes des mobilisations environnementales et leur rôle sur la politisation des militants. Elle observe avec optimisme les mouvements pour le climat issus de la jeunesse mondiale ces dernières semaines, mais reste plus prudente sur une potentielle convergence des luttes immédiates avec le mouvement des gilets jaunes en France, malgré les revendications plus engagées vers plus de justice climatique et sociale.

Quelles leçons retenez-vous des grèves pour le climat orchestrées par des jeunes de nombreux pays tous les vendredis ?

Sylvie Ollitrault : Nous avons rarement vu un mouvement social aussi homogène et spontané. Des étudiants, des lycéens, des collégiens sont descendus dans les rues, car ils se sentent happés par le fait que la planète est en danger, qu’il faut se mobiliser et agir. La plupart sont des primo-manifestants, mais ont fait preuve d’une grande maturité sur le plan de l’auto-organisation, même si des ONG ont dû jouer un rôle, certains lycéens ont construit des groupes dans leur établissement et lancé des actions. Ce mouvement venant du bas, de la jeunesse, il permettra de consolider cette conscientisation écologique et politique. Par le passé, les scientifiques et les ONG militantes tentaient d’alerter mais se sentaient seuls tant l’enjeu était global, lointain, technique et donc difficile à diffuser dans l’opinion publique.

Les notions d’urgence et de précarité jouent-elles un rôle dans ces mobilisations ?

Les slogans des jeunes rompent avec le discours écologiste habituel, car ils expliquent clairement qu’ils sont la génération sacrifiée, celle qui va subir plus fortement les effets du réchauffement climatique. Jusqu’à présent, on entendait parler des « générations futures » et d’une échéance à 30 ou 40 ans. La notion d’urgence mobilise, que ce soit dans la rue ou dans les consciences. Les moins de 30 ans s’intéressent beaucoup au mouvement de la collapsologie, qui catalyse diverses émotions dont la détresse, qui peut pousser à vouloir se couper du monde. Or, ceux qui ont défilé dans les rues font partie intégrante de la société afin d’interpeller les institutions et de les mettre face à leurs responsabilités. Cette génération est également inquiète sur le plan économique, avec l’effet « crise de 2008 », et sait qu’il faudra lutter pour s’insérer dans le monde du travail, y compris pour les classes plus protégées que les classes populaires.

On lisait également beaucoup de messages écoféministes dans les cortèges. Est-ce nouveau ?

Les groupements de femmes existaient déjà lors de la lutte du Larzac, par exemple. Mais la génération actuelle a été davantage traversée par l’effet MeToo, et les combats féministes d’aujourd’hui s’insèrent dans le quotidien, comme la question du respect dans l’espace public, les rapports de genre entre hommes et femmes… Nous observons que beaucoup de femmes s’investissent dans les milieux de l’économie circulaire ou dans les associations environnementales. Pour une fois, elles sont dominantes en nombre dans un secteur militant ! En termes planétaires, l’idée écologiste, c’est le partage, également genré, ce qui peut permettre une convergence des luttes. Mais jusqu’où ? Qu’en est-il des quartiers moins favorisés ? Selon moi, ce serait possible sur les questions de précarité énergétique, mais ce n’est pas simple de transformer les modes de vie dans l’immédiat.

Peut-on dire qu’il y a un regain des revendications anticapitalistes ?

Depuis quelques années, il y a une forme d’injonction de la part des institutions à réaliser des écogestes. Une partie des jeunes manifestants ont déjà pris conscience qu’il y a une nouvelle posture à adopter par rapport à la consommation, aux animaux, à l’alimentation… La mobilisation diffuse cette prise de conscience et montre qu’ils forment un groupe qui ne se définit pas par rapport à un mouvement politique ou social, mais en faveur d’un projet de société différent. Cette idée de changement radical et immédiat de système, de meilleure répartition des richesses est plus présente qu’il y a vingt ans. À l’époque, les militants se retrouvaient davantage dans l’altermondialisme et pensaient que les ONG feraient suffisamment pression sur les États pour porter les revendications de la société civile. Le « renouvellement » de l’écologie française doit compter des jeunes proches des mouvements libertaires ou anarchistes qui s’affirment comme anticapitalistes.

Cette volonté de mieux répartir les richesses pourrait-elle être fédératrice avec les gilets jaunes ?

La convergence avec une partie des gilets jaunes pourrait éventuellement se faire sur ce point, mais le mouvement des gilets jaunes est trop composite. La plupart restent sur des demandes de revalorisation salariale, des revendications de consommation, mais cela ne veut pas dire qu’ils rempliront leur Caddie de produits bio, locaux et équitables. Ils ne sont pas tous arrivés à la nouvelle étape : passer à une autre forme de consommation. Ils sont contre Macron, peut-être contre les institutions, sans doute pour une redistribution des richesses, mais pas forcément anticapitalistes. Il faut rester prudent sur ce point.

Les modes d’action semblent de plus en plus radicaux…

La désobéissance civile n’est pas nouvelle dans le mouvement écologiste et apparaissait déjà dans les années 1970, puis avec les actions coups de poing comme celles de José Bové contre les OGM. La nouveauté tient au fait que les appels à la désobéissance civile doivent concerner les citoyens dans leur ensemble, aussi bien avec les aspirations des jeunes proches des mouvements écologistes qu’avec ceux davantage liés aux courants libertaires et anticapitalistes. Ce mode d’action peut fédérer, mais également créer des dissensions à propos du degré de violence. Est-ce qu’on fait des actions non-violentes comme du boycott, ou est-ce qu’on va jusqu’au sabotage ?

La violence d’État en répression des manifestants ou bien des citoyens des quartiers populaires ne pourrait-elle pas être un autre point de ralliement ?

Pour que la convergence se fasse réellement, il faudrait un vrai travail politique et c’est ce qui nourrit mon inquiétude de politiste : qui peut faire ce travail politique nécessaire ? Avant, il y avait le parti écologiste qui jouait le rôle de catalyseur. Mais en ce moment, en France, nous vivons dans une période où les partis et les mouvements politiques sont discrédités, parfois isolés, considérés hors sol, et où il semble compliqué de mettre toutes les forces politiques ensemble, même pour une cause telle que l’environnement, présent dans de nombreux programmes politiques.

Sylvie Ollitrault Chercheuse en sciences politiques, spécialiste des mobilisations environnementales.

Société
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