La finance solidaire à la rescousse

Face à l’inaction gouvernementale, des projets citoyens pour favoriser la transition fleurissent. Des plateformes de financement et des entreprises solidaires permettent d’investir.

Oriane Mollaret  • 27 mars 2019 abonné·es
La finance solidaire à la rescousse
© crédit photo : PATRICK PLEUL/dpa-Zentralbild/AFP

Une maison intergénérationnelle à La Rochelle, des énergies renouvelables gérées par les citoyens à Belfort, des soins gratuits au Sénégal, une confiture à base de fruits invendus pour lutter contre le gaspillage alimentaire… Tous ces projets n’auraient pu voir le jour sans la finance solidaire. Le principe est simple : il suffit de réaliser un placement d’épargne solidaire auprès de sa banque, de souscrire des parts du capital d’une entreprise solidaire ou d’abonder un fonds solidaire via sa propre entreprise. Pour l’association Finansol, qui promeut cette finance alternative depuis 1995, sont considérés comme solidaires les projets favorisant « l’accès à l’emploi et au logement pour les personnes en difficulté, la création d’activités écologiques ou l’entreprenariat dans les pays en développement ».

Dans un contexte de mobilisations pour l’environnement, et face à l’inaction gouvernementale, les porteurs de projets de production d’énergie renouvelable sont nombreux à se tourner vers la finance solidaire. D’après l’entreprise Énergie partagée, créée en 2011 pour accompagner ces projets citoyens, les Français auraient la capacité de financer la transition énergétique avec leur épargne. En effet, pour financer cette transition, il aurait manqué à la France entre 10 et 30 milliards d’euros en 2018, d’après un rapport remis à François de Rugy et Bruno Le Maire (1). Or l’Observatoire de l’épargne réglementée de la Banque de France a annoncé, fin 2017, que le patrimoine financier des Français, comprenant les assurances vie et l’épargne réglementée (livret A, PEL…), avait dépassé les 5 000 milliards d’euros.

« Aujourd’hui, nous avons plus de 5 200 actionnaires, se félicite Énergie partagée. Au début, c’était un cercle de militants, mais il s’élargit à des personnes qui ne sont pas forcément engagées. » Sur 270 projets déjà aidés dans toute la France, au moins la moitié le sont avec des capitaux provenant de citoyens. Par exemple, l’an dernier à Paris, s’est montée EnerCit’IF, la première coopérative citoyenne d’énergies renouvelables, parrainée par le climatologue Jean Jouzel. Son but est de permettre l’installation de 15 à 20 centrales photovoltaïques sur les toits des bâtiments publics parisiens d’ici à 2020, pour alimenter 500 à 600 foyers en électricité.

« Nous nous sommes tournés vers la finance solidaire naturellement, explique le secrétaire d’EnerCit’IF. Nous partageons la même vision du monde et c’était plus facile de traiter avec des conseillers habitués aux dossiers d’énergies renouvelables, ce qui n’est pas le cas dans les banques classiques, en tout cas en Île-de-France. » « Il s’agit souvent de projets qui n’ont pas réussi à obtenir des financements classiques parce que la rentabilité économique des projets d’utilité sociale ou environnementale est plus faible », ajoute-t-on chez Finansol, qui décerne aux projets solidaires un label pour leur faire gagner de la visibilité et témoigner de leur solidité, de leur éthique et de leur transparence auprès des investisseurs potentiels.

Les plateformes de finance solidaire fleurissent également sur Internet. Lendosphere, par exemple, est un site de financement participatif créé en 2014 par Laure Verhaeghe, ex-journaliste spécialisée dans le développement durable, et Amaury Blais, ingénieur et ex-analyste dans le secteur bancaire. Les citoyens intéressés alimentent un compte en ligne à partir duquel ils peuvent investir gratuitement dans les projets locaux de leur choix, à partir de 50 euros. Les personnes morales et les fonds d’investissement sont également les bienvenus, avec la possibilité d’acquérir des obligations ou des actions. Les porteurs de projets versent à la plateforme une commission en cas de succès de la levée de fonds et acquittent des frais de mise en ligne et de communication. On dénombre aujourd’hui 129 parcs éoliens ou photo-voltaïques financés grâce à Lendosphere, en France et à l’étranger.

Si toutes ces initiatives suscitent l’enthousiasme, la finance solidaire n’est pas toujours sans risque pour les souscripteurs. Chez Énergie partagée, on investit uniquement dans des produits « dérisqués », qui ont déjà reçu toutes les autorisations administratives nécessaires et un permis de construire. Le risque qu’un projet s’écroule est donc faible. En revanche, sur les plateformes participatives telles que Lendosphere, même si les projets présentés sont sélectionnés en amont pour leur solidité (outre leur dimension écologique), les investisseurs peuvent perdre les sommes placées en cas de faillite du projet.

Il existe aussi un risque de se retrouver en situation d’illiquidité : la somme placée dans un projet est bloquée jusqu’au financement complet de celui-ci, ce qui peut prendre plusieurs années si les investisseurs se font rares. Autre risque à long terme : la formation d’une bulle, avec de plus en plus d’investissements pour des projets risqués, qui en éclatant provoquerait une crise des financements écologiques. Quant au retour sur investissement, il dépendra bien sûr de la réussite du projet…

Chez Énergie partagée, on est tout de même confiant : « Les actionnaires seront payés quand les projets financés seront devenus rentables et auront épongé toutes leurs dettes, c’est-à-dire au bout de dix à quinze ans. Aujourd’hui, on commence à percevoir les retours des premiers projets de 2010-2011, ce qui nous a permis d’augmenter le prix de l’action à 104 euros. On prévoit un rendement des actions stabilisé à 4 % par an à l’horizon 2025. » Il faut un peu de patience pour sauver la planète, certes, mais avec à la clé un taux bien plus élevé que celui du livret A.

Des soupçons d’écoblanchiment planent cependant sur certaines entreprises, pour lesquelles les projets de transition énergétique sont devenus un vrai business (logements basse consommation, véhicules électriques…). Mais pour Géraud Guibert, président du think tank La Fabrique écologique, le jeu en vaut la chandelle : « Il y a des risques de capitalisme vert, c’est vrai. Par exemple, on a des démarches mixtes : des projets de parcs éoliens qui seront rentables avec la vente d’électricité, mais qui constituent un progrès pour l’environnement. Le risque, c’est quand des promoteurs commencent à apparaître. Le financement participatif des citoyens atténue ce risque. »

(1) Rédigé par Pascal Canfin, directeur du WWF France, et Philippe Zaouati, directeur de Mirova, filiale de Natixis dédiée à l’investissement responsable.