Notre-Dame des larmes

À bien y réfléchir, c’est plutôt nous qui sommes collectivement les mécènes de Pinault et Arnault.

Sébastien Fontenelle  • 24 avril 2019 abonné·es
Notre-Dame des larmes
© photo : François-Henri Pinault et Bernard Arnault. crédits :JOEL SAGET, Eric PIERMONT / AFP

Notre-Dame brûle et on prend soudain, brutalement, la mesure exacte (y avait-on jamais pensé ?) de ce qui s’incarnait là, de ce qu’il y avait aussi de profondément intime dans cette grande présence, et on pleure d’abord de tristesse. Puis cet accablement devient du dégoût, puis de la colère enfin quand des sagouins (1) fondent sur ses restes encore fumants pour s’y reconstruire une image. Comme Emmanuel Macron, président de la République française, qui a plongé le pays dans l’« une des crises sociales les plus fortes de ces dernières années (2) » et qui, toute honte bue, profite de la catastrophe pour tenter de « reprendre la main sur un agenda devenu insaisissable » et de « transformer un drame en opportunité (3) ».

Ou comme ces deux milliardaires (parmi quelques autres) qui soudain rivalisent de générosité. Les grandes douleurs sont muettes ? La leur est tapageuse lorsqu’ils exhibent leurs bienfaisances (4) : quand l’un (François-Henri Pinault) promet cent millions d’euros pour la reconstruction de la cathédrale, un autre (Bernard Arnault) renchérit dans l’instant et s’engage, lui, à donner deux cents millions. Et la presse les ovationne, conquise par tant de bonté(s).

Or, en d’autres moments, on le sait, ces deux-là se montrent beaucoup moins libéraux de leurs deniers : l’un et l’autre entretiennent par exemple une relation un peu distendue avec l’impôt. Bernard Arnault (5) aurait ainsi (et selon Le Monde, qui avait enquêté en 2017 sur son patrimoine offshore) « placé des actifs dans six paradis fiscaux », et le groupe Kering, dirigé par François-Henri Pinault, aurait, selon Mediapart, « soustrait 2,5 milliards d’euros » aux services fiscaux italiens, français et britanniques.

De sorte qu’en vérité, et à bien y réfléchir, c’est plutôt nous qui sommes, collectivement, les mécènes de ces deux personnages. Non par choix, car nous préférerions évidemment, si notre avis nous était demandé, que les gigantesques sommes englouties dans leurs opérations d’« optimisation fiscale (6) » leur soient promptement réclamées pour être ensuite affectées au mieux-être de la collectivité. Et nous préférerions, évidemment, qu’Emmanuel Macron détourne un peu du temps qu’il consacre chaque mois (ou presque) à la fustigation des pauvres pour rappeler MM. Arnault et Pinault à plus de civisme. Mais il ne le fera pas.

Car, en vérité (7), ce chef d’État est bien moins attaché qu’il ne le prétend à nos trésors publics : c’est la raison pour laquelle, en même temps qu’il prétend reconstruire Notre-Dame, il continue de démolir notre patrimoine social.


(1) « Sagouin : personne dont le comportement suscite le mépris » (dit mon dictionnaire).

(2) Le Monde, 18 avril 2019.

(3) Idem.

(4) Comme d’autres, qui ont aussi clamé qu’ils donnaient pour la reconstruction de Notre-Dame, à l’image du groupe Total.

(5) Qui aurait par ailleurs économisé plus de 500 millions d’euros grâce à sa Fondation Louis-Vuitton.

(6) Comme on dit joliment.

(7) Outre que sa philosophie de l’impôt se résume, pour l’essentiel, à prendre aux pauvres pour donner aux riches.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

Temps de lecture : 3 minutes