Le piège du pouvoir d’achat

L’augmentation du « niveau de vie » est l’autre nom de l’augmentation de la contrainte dans les choix de consommation.

Mireille Bruyère  • 15 mai 2019 abonné·es
Le piège du pouvoir d’achat
© crédit photo : Riccardo Milani / Hans Lucas / AFP

Pour répondre à la crise sociale, le gouvernement se targue d’une hausse du pouvoir d’achat de 2 % en 2019 et espère ainsi éteindre toute contestation sociale. Mais la crise sociale actuelle, dont les gilets jaunes ne constituent qu’une partie, dépasse la question du pouvoir d’achat. Celui-ci n’est que la mesure d’une capacité à consommer des valeurs économiques offertes dans le capitalisme. Mais quelles sont ces valeurs économiques ? À quoi servent-elles ? Qui les choisit ? La liberté du consommateur est une mystification, les grandes entreprises tentent, pour faire du profit, de « contrôler et à terme contraindre des populations à modifier radicalement leurs habitudes quotidiennes, notamment en restreignant leurs choix et leurs libertés (1) ». Non, les grandes entreprises ne développent pas de nouveaux biens et services pour répondre aux attentes des consommateurs, elles développent des dispositifs afin de les rendre captifs.

L’analyse des dépenses de consommation des ménages montre bien les contraintes qui pèsent sur le consommateur. Pour les 10 % des ménages les plus pauvres, le logement atteint 42 % du revenu, alors qu’en moyenne dans les années 1960 cette part était inférieure à 10 %. Les dépenses de télécommunication ont été multipliées par cinq, marquant le développement du numérique. Et toutes ces dépenses sont préengagées en début de mois comme celles liées à l’énergie (électricité, gaz) et aux transports, qui ont crû beaucoup plus vite que les revenus des classes modestes et moyennes. Pour ces ménages, ces dépenses contraintes et incontournables atteignent 80 % des ressources économiques, laissant moins de 300 euros pour des dépenses libres (loisirs, culture, habillement, voyage).

L’augmentation du « niveau de vie » est donc l’autre nom de l’augmentation de la contrainte dans les choix de consommation. Cette dynamique du contrôle résulte d’une extension exorbitante de la propriété privée, des situations de monopoles et des rentes qui en découlent. L’exemple le plus significatif est l’habitat. La rente liée à la propriété immobilière a explosé et le poids des loyers ou des prix de l’immobilier a bondi. Ces rentes sont maintenant aussi technologiques, en particulier dans le domaine numérique, mais aussi dans la santé.

Pour les classes modestes, la contrainte est presque totale sur le choix du mode de vie (lieu de vie, type de mobilité, accès aux services publics et culturels). Le choix du consommateur se réduit à choisir entre biens et services identiques de marques différentes. Une augmentation du pouvoir d’achat ne permettra donc jamais de retrouver une forme de liberté et d’égalité, car cela passe par une remise en question profonde des biens et des services produits. Pour allier liberté, justice et enjeux écologiques, les biens industriels doivent être plus simples et facilement réparables localement ; les services doivent être communs ou publics, et gérés démocratiquement : des habitats partagés, des transports collectifs ou actifs (vélo et marche) ; l’alimentation doit être saine et produite localement, bref, l’inverse des promesses de la « start-up nation ».


(1) Énergie et Équité, Ivan Illich, Seuil, 1973.

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