À procès politique, plaidoyers politiques

Les avocats des parties civiles, ont, dans leurs plaidoiries, joué sur le même terrain que La France insoumise. Trois mois avec sursis ont été requis contre Jean-Luc Mélenchon.

Agathe Mercante  • 20 septembre 2019
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À procès politique, plaidoyers politiques
© Crédit photo :nMartin BUREAU / AFP

C’est un peu comme l’histoire du garçon qui criait au loup… Sauf que le garçon est ici un mouvement politique, et qu’il crie au procès politique. Pour le deuxième jour du procès des perquisitions au siège de la France insoumise, les avocats des parties civiles, policiers et magistrats présents lors de la perquisition – ont adopté une ligne d’attaque résolument moraliste.

Leurs plaidoiries, présentées ce vendredi matin, répondaient à la ligne de défense adoptée par Jean-Luc Mélenchon et cinq de ses proches pour répondre des faits de « rébellion », « intimidation » et « provocation ».

La relation d’un mouvement avec la justice

Alors que le tribun s’estime victime d’un procès politique et évoque le « lawfare », une pratique qui vise à faire taire les opposants politiques via des poursuites décidées par une justice aux ordres, les avocats ont résolu d’attaquer sur une ligne « morale », juridique, mais aussi politique. « Vous traitez les policiers comme de la merde, c’est une plaisanterie, vous ne leurrez personne », a lancé à l’intention des prévenus l’avocat Éric Dupont-Moretti, qui fait l’objet de railleries de la part des militants insoumis depuis le début du procès. « Arrêtez votre délire paranoïaque », leur a-t-il intimé.

Tout comme lui, maître François Saint-Pierre s’est interrogé sur ce que la défense de la France insoumise disait de la « relation d’un mouvement avec la justice, avec le droit » devant une assemblée pour partie acquise aux prévenus (quelques dizaines de militants et sympathisants de La France insoumise étaient venus assister au procès), qui ne cachait pas son indignation à l’écoute des plaidoiries. Hors des murs du tribunal de grande instance de Bobigny aussi, les critiques ne se sont pas faites attendre : « Sur la même lignée qu’hier, Éric Dupont-Moretti continue à mépriser Jean-Luc Mélenchon, les parlementaires prévenus et tous les insoumis. C’est ça sa seule ligne ? Le mépris et rien d’autre », constate un collaborateur parlementaire de la FI.

Et les avocats des parties civiles de démonter patiemment et méthodiquement l’argumentaire insoumis qui repose sur le sentiment de n’avoir pas été traités comme des justiciables comme les autres, mais comme des opposants politiques. « Vous n’avez pas été perquisitionnés à 6 heures, dès potron-minet, comme ça se fait dans 90 % des cas », a rappelé Maître David Lepidi qui évoque « ces pauvres gosses de banlieues qui, lorsqu’ils commettent le quart d’un outrage, passent le lendemain en comparution immédiate ». Comme pour préciser que les insoumis ont reçu un traitement de faveur.

Prison avec sursis

Du côté des victimes, plus que les cris et le vacarme provoqué par l’entrée des insoumis dans leur local, ce qui a choqué, c’est la violence des propos politiques. « Ce qui a vexé [les policiers qu’il représente], c’est d’être traités de police politique. Ce ne sont pas des fonctionnaires du gouvernement, ce sont des fonctionnaires de la République », a estimé François Saint-Pierre. « N’avez-vous pas dit qu’ils étaient de pauvres diables exerçant un métier à la noix ? », demande Éric Dupont-Moretti.

Car l’attaque en procès politique ne passe ni auprès des avocats, ni auprès des procureurs. Dans son réquisitoire, la vice-procureure du tribunal n’y est pas allée avec le dos de la cuillère : « Il n’y a pas de libertés sans lois et certains se doivent d’être exemplaires, les députés et le conseiller d’État [Bernard Pignerol] ne l’ont pas été ce jour là. Comment croire à ce contrat social et expliquer à nos concitoyens qu’ils doivent respecter la même loi que ceux qui ne seront pas condamnés, pas poursuivis ? », a-t-elle indiqué en préambule, comme pour prévenir que des peines allaient être demandées. « Ce qu’on a reproché à Jean-Luc Mélenchon ce n’est pas d’avoir eu le verbe haut, mais d’avoir agi pour faire obstacle à la justice », a-t-elle martelé.

Que les avocats et les magistrats du parquet aient reconnu que la justice avait besoin de plus d’indépendance – « Oui il faut absolument consacrer l’indépendance du parquet », François Saint-Pierre – n’y change rien. Après avoir déploré « un gâchis humain, un gâchis politique certainement », la vice-procureure a laissé au procureur la parole pour annoncer le réquisitoire : trois mois de prison avec sursis et une amende de 8 000 euros pour Jean-Luc Mélenchon, 10 000 euros pour Bernard Pignerol, 8 000 pour Bastien Lachaud, Alexis Corbière et Manuel Bompard et 2 000 pour l’attachée de presse du mouvement.

Après l’annonce, sur le parvis, le leader des insoumis ne décolèrait pas : « Est-ce que moi je demande de l’argent pour avoir été flétri et humilié tous les jours à la télévision ? », demandait-il devant une assemblée de militants qui scandaient « Résistance, résistance ». La prison avec sursis, estime l’insoumis, revient à ce que « quiconque le veut m’embastille », a-t-il estimé. Mais de reconnaître : « La justice n’en sort pas grandie, ni la police, ni la représentation parlementaire. »

Quelques heures plus tard, au terme du procès et après les plaidoiries de ses avocats, Jean-Luc Mélenchon s’offre une dernière tribune. À la barre, aux juges il demande la relaxe : « Relaxez-moi (…) je ne suis pas un voyou ! Je suis un homme honnête ! », a-t-il plaidé. Faisant à nouveau de ce moment de parole une tribune. « On n’est dans une salle d’audience, pas dans un meeting insoumis », lui rétorque le président de la 16e chambre correctionnelle du tribunal de Bobigny. Le jugement, lui, a été mis en délibéré. Verdict le 9 décembre, 10 heures, pour peut-être enfin clore cette histoire qui colle à la peau des insoumis.

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