Moins de pognon pour le charbon

Le 2 juillet 2019, la place financière de Paris a annoncé un plan de sortie du financement des énergies fossiles d’ici à mi-2020. Une démarche potentiellement exemplaire, qu’elle n’a pas détaillée pour autant.

Lucie Pinson  • 25 septembre 2019
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Moins de pognon pour le charbon
© photo : Des activistes d’Ende Gelände bloquent la centrale à charbon de Vattenfall, à Welzow, en Allemagne, le 14 mai 2016.crédit : Denis Meyer/Hans Lucas/AFP

Le 26 novembre 2018, le ministre de l’Économie et des Finances déclarait lors de la table ronde sur la finance durable des Nations unies : « Je demande aux banques, aux assureurs et aux gestionnaires d’actifs français de prendre des engagements en vue de cesser le financement des mines et des centrales à charbon. Si ces engagements ne sont pas respectés, nous les rendrons contraignants. » Quelle mouche avait piqué Bruno Le Maire ?

Quelques jours plus tôt, des ONG avaient publié deux rapports retentissants. Dans le premier, Oxfam France montrait que, sur 10 euros de financements alloués par les banques françaises au secteur énergétique, 7 vont toujours aux énergies fossiles contre 2 aux renouvelables. Ce chiffre reflète la réalité de l’économie, toujours majoritairement carbonée, et questionne la capacité des obligations vertes et autres outils financiers étiquetés « verts », « durables », « ISR », « ESG », etc., à décarboner le système énergétique dans les temps.

Le second rapport, que j’avais rédigé avec les Amis de la Terre France, battait en brèche l’idée répandue sur la place financière parisienne que les banques françaises auraient mis fin à leurs financements destinés au charbon. Si elles ont bien arrêté de financer directement des nouveaux projets de mines et de centrales à charbon, BNP Paribas, la Société générale, le Crédit agricole et Natixis ont accordé, entre 2016 et septembre 2018, plus de 10 milliards d’euros à des entreprises qui construisent assez de nouvelles centrales à charbon pour augmenter de 22 % la capacité existante de production d’électricité à partir de charbon au niveau mondial.

Ensemble, les deux rapports montraient donc que, si les banques françaises financent toujours massivement les fossiles, c’est parce qu’elles ne prennent pas en compte les stratégies d’investissement des entreprises dans leurs politiques de financements. La question « est-ce que mon client continue d’aggraver la situation en construisant de nouveaux projets fossiles ou a-t-il au contraire pris des engagements de décarbonation alignés avec les objectifs climatiques ? » n’est pas un facteur de décision dans l’accord de nouveaux prêts ou l’émission d’actions et d’obligations.

Mais, le 2 juillet, préférant l’action à la contrainte, la place financière de Paris (1) a annoncé que, d’ici à mi-2020, ses membres, banques, assureurs et investisseurs, définiraient « un calendrier de sortie globale du financement des activités charbon ». Le Crédit agricole et La Banque postale avaient anticipé en adoptant le mois précédent une politique de retrait du secteur.

Les signataires du 2 juillet se sont bien gardés de détailler ces plans de sortie. Le bon sens voudrait qu’on y trouve au moins trois éléments :

1) L’arrêt de tout soutien aux entreprises qui prévoient de construire mines, centrales ou autres infrastructures charbon. S’il faut sortir du charbon, les entreprises qui suivent la direction opposée doivent être automatiquement mises au ban. La Global Coal Exit List en compte déjà 436. Aujourd’hui, les politiques de BNP Paribas et de la Société générale permettent de financer des entreprises qui prévoient autant de nouvelles centrales à charbon qu’on en trouve en Allemagne, en Pologne, en Afrique du Sud et en Russie réunies. Même AXA, qui a désinvesti de certaines entreprises en raison de leurs plans de développement dans le charbon, peut toujours investir dans des sociétés qui représentent ensemble plus de deux fois la flotte allemande.

2) Des dates de sortie alignées avec la science climatique. Le Crédit agricole et La Banque postale se sont alignés sur les dates définies par le bureau de recherche Climate Analytics : 2030 pour les pays de l’UE et de l’OCDE, 2040 pour la Chine et 2050 pour les autres pays. La très récente mise à jour de Climate Analytics indique que tous les pays hors UE et OCDE ne doivent plus produire d’électricité à partir de charbon d’ici à 2040.

3) Un engagement à conditionner leurs soutiens financiers à la publication par leurs clients actifs d’un plan de fermeture de toutes leurs infrastructures charbon. Le Crédit agricole et La Banque postale l’ont déjà fait, et le fait que d’autres acteurs français suivent pourrait avoir un impact majeur sur de nombreuses entreprises, comme Engie, avec 11 centrales à charbon et aucune date de sortie planifiée.

Enfin, il faudra que les plans de sortie portent sur tous leurs services financiers. La Société générale est déjà sur la mauvaise voie puisque son engagement de sortie, annoncé mi-juillet, ne porte que sur ses prêts. Comme les autres acteurs financiers français, il lui reste neuf mois pour adopter un plan de sortie robuste. S’il est suivi d’effets, l’engagement du 2 juillet de la place financière de Paris fera date et figure d’exemple sur la scène internationale.


(1) Il s’agit d’un engagement associant les fédérations professionnelles telles que la Fédération bancaire française, la Fédération française de l’assurance, l’Association française de la gestion financière, les établissements qui en sont membres ainsi que les autorités publiques. Cf. « Déclaration de Place : une nouvelle étape pour une finance verte et durable », 2 juillet 2019, https://financefortomorrow.com

Publié dans
Le temps du climat
Temps de lecture : 4 minutes
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