Pauvre Raoni

Nous balançons entre admiration et compassion pour le « grand chef du peuple Kayapo ».

Patrick Piro  • 11 septembre 2019
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Pauvre Raoni
© crédit photo : NICOLAS TUCAT / AFP

Et hop un petit selfie avec l’Indien à coiffe jaune, vite sur mon compte twitter avec un message compassé disant l’honneur d’avoir échangé avec le cacique Raoni, « grand chef du peuple Kayapo », le sauvetage de l’Amazonie, où se joue « la survie de notre équilibre planétaire » ou « notre propre avenir ». C’était samedi dernier à Bordeaux, où le gratin de La République en marche était réuni. Édouard Philippe, Élisabeth Borne, Stanislas Guerini et même Benjamin Griveaux se sont payé un coup de com’ sur le dos de la bête à plumes. « Cynisme » et « obscénité » : d’accord avec le commentaire de David Cormand, secrétaire national d’EELV.

Nous balançons entre admiration et compassion pour Raoni. À près de 90 ans (il ignore sa date de naissance exacte), il est encore à courir les tribunes occidentales, qui semblent plus émues par sa stature que par son obsessionnel combat pour la survie des Kayapos et des autres peuples amazoniens menacés par la dévastation forestière, le dérèglement climatique, la cupidité des entreprises minières et énergétiques, et désormais par le sinistre Bolsonaro.

Nous l’avons rencontré à Paris en 2010, entre autres, lors d’une séance de promotion d’un livre sur sa vie, Mémoire d’un chef indien. L’opération marketing d’une petite coterie abritée derrière la fructueuse intention de collecter des fonds « pour l’Amazonie ». Raoni, par son physique et la mystique indigène qu’il incarne, exerce un incomparable magnétisme sur les foules blanches. Son nom s’étale en gros sur la couverture, mais le porte-plume est Jean-Pierre Dutilleux, un auteur belge qui aura produit une dizaine d’opus sur le cacique. Un bien sulfureux personnage, et qui en exploite l’image, au sens minier, depuis quatre décennies.

Depuis, le message d’alarme de Raoni à travers le monde n’a pas varié d’un iota. Depuis, 20 % de l’Amazonie brésilienne a disparu. Depuis, c’est encore l’écho ou le clic-clac des appareils photo qui lui répondent le mieux. Au sommet de Biarritz, fin août, il aurait eu une « bonne discussion » avec Macron. Qui déclare « Nous sommes amazoniens » à la vue des feux qui brûlent une forêt cruciale dont il ignore tout. Qui au printemps déjà avait promis à Raoni de l’argent « sous un mois », toujours pas arrivé (Le Monde, 10 septembre), qui continue à valider des permis de forer le sous-sol guyanais, à pousser une agro-industrie dévoreuse de soja, qui dévore la forêt amazonienne, etc.

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