Mains d’œuvres à Saint-Ouen : cri d’amour et résistance

Lieu culturel emblématique de la ville de Saint-Ouen, Mains d’œuvres a été expulsé le 8 octobre dernier. Ce samedi 12 octobre, plusieurs centaines de personnes sont venus crier leur amour pour le site, qui représente bien plus qu’une simple résidence d’artistes.

Victor Le Boisselier  • 15 octobre 2019
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Mains d’œuvres à Saint-Ouen : cri d’amour et résistance
© Photo du haut : Victor Le BoisseliernPhoto texte : Marie Magnin / Hans Lucas / AFP

C e sont eux qu’il faudrait expulser de la mairie, qu’ils squattent depuis déjà trop longtemps ! » Sur le parvis de l’hôtel de ville de Saint-Ouen, la foule applaudit. Alors qu’un conseil municipal à huis clos se tient dans le bâtiment, la porte de l’édifice est comme scellée par des pancartes. Toute la journée, ce samedi 12 octobre, artistes, élus, membres d’association, habitués des lieux et habitants de la ville ont crié leur amour à Mains d’œuvres et refusé d’en parler au passé.

Comment définir Mains d’œuvres ? « Un lieu où se rencontrent art et société », selon sa directrice, Juliette Bompoint. « Le seul lieu de vie du quartier » pour Emmanuelle, voisine du site. Si chacun a sa définition, tous s’accordent pour parler de site culturel historique. Fondé en 1998 dans l’ancien gymnase des usines Valeo, Mains d’œuvres a ouvert au public en 2001. « Dans le milieu artistique parisien, ça a placé Saint-Ouen sur la carte », estime le musicien David Chazam.

Pourtant depuis le 1er janvier 2018, équipes et artistes produisaient avec une épée de Damoclès au-dessus la tête. Le bail avec la mairie de Saint-Ouen a expiré fin 2017 et n’a pas été renouvelé depuis. À l’été dernier, une décision de justice donnait raison à la ville qui dénonce depuis 2017 une exploitation « en toute illégalité [d]es locaux appartenant à la ville […] sans jamais verser de loyer » (1). Malgré une décision en appel attendue pour décembre, le couperet est tombé ce mardi 8 octobre.

Les artistes, premiers touchés

Au petit matin, plus d’une vingtaine de camions de forces de l’ordre arrivent pour déloger les 250 artistes résidents du site et mettre au chômage technique ses soixante-dix salariés. La faute à qui ? Au maire de la ville, William Delannoy (UDI), élu en 2014, qui veut, selon ses détracteurs, faire de Saint-Ouen « le nouveau Levallois-Perret », chic banlieue des Hauts-de-Seine. Si certains lieux emblématiques comme les puces ou le stade Bauer demeurent, M. Delannoy veut implanter du neuf. En lieu et place de Mains d’œuvres, devrait donc officiellement s’ouvrir un conservatoire. « On construit de partout, pourquoi ne pas l’installer dans un autre endroit ? » s’interroge-t-on parmi les soutiens de MDO.

© Politis

Premiers touchés, les artistes. La plupart d’entre eux ont encore leur matériel à l’intérieur du centre culturel. « Fermer cet endroit sans se poser la question des répercussions pour nous, c’est la preuve de l’intérêt du maire pour la culture », renchérit Fred Campo. Quand on lui demande ce qui va se passer maintenant, le claviériste du groupe Frustration hausse les épaules : « On va déjà essayer de récupérer notre matériel. On a un concert ce vendredi, on ne sait même pas si on va le faire. » Dans un milieu précaire, Mains d’œuvres permet à des artistes de pratiquer sans se ruiner. Et même de s’insérer dans le circuit, grâce à l’accompagnement, à l’organisation d’événements. « À Mains d’œuvres, ça grouille de monde », résume un musicien qui a investi le lieu il y a quelques mois.

Un lieu créateur de lien social

Car plus qu’un lieu de culture, le centre se veut créateur de lien social. Plusieurs associations, comme l’AMAPuces, qui distribuent des produits issus de l’agriculture paysanne, y ont pris leurs quartiers. Emmanuelle, déjà citée ci-dessus, habite juste en face de Mains d’œuvres :

C’est un endroit cool où tu vas chercher ton panier de légumes, il y a un concert, tu croises tes voisins. On organisait même nos AG de copropriétaires là-bas.

Des projets avec des jeunes du quartier sont également mis en place, comme le Levi’s (2), music project qui permet à 25 jeunes de mener à bien leur projet musical sous l’égide de Gaël Faye.

L’expulsion de Mains d’œuvres a donc provoqué un véritable élan de solidarité. « Le lendemain de l’expulsion, les parents d’élèves se sont organisés pour accueillir les cours de l’école de musique », raconte Juliette Bompoint. Le ministère de la Culture a lui aussi apporté son soutien et proposé une médiation. La directrice de Mains d’œuvres garde espoir en vue de la décision judiciaire de décembre. « Ça va le faire, on a des arguments ! » sourit-elle. Autre stratégie avancée par les soutiens de Mains d’œuvres : temporiser jusqu’aux élections municipales de mars 2020, en espérant que le maire actuel soit éjecté.


(1) Communiqué de presse de la Ville de Saint-Ouen du mardi 8 octobre 2019.

(2) La marque Levi’s est un des mécènes de Mains d’œuvres

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