SNCF : les surprises de la concurrence

Pour faciliter l’entrée d’opérateurs privés sur le marché français du ferroviaire, les autorités du secteur ont prévu une série de coups de pouce.

Erwan Manac'h  • 2 octobre 2019 abonné·es
SNCF : les surprises de la concurrence
© crédit photo : Klaus-Dietmar Gabbert / dpa-Zentralbild / dpa Picture-Alliance / AFP

Le processus est enclenché. Les premières démarches ont été lancées pour les appels d’offres sur les lignes régionales, afin que des trains privés circulent à partir de 2021. Les fortes différences d’une région à l’autre reflètent le caractère politique du dossier lors de cette première phase d’ouverture à la concurrence. La région des Hauts-de-France, présidée par Xavier Bertrand, en conflit avec la SNCF, prépare ainsi les bases d’une bascule totale de son réseau, alors que d’autres, comme la Bretagne, veulent garder jalousement leurs petites lignes, les dessertes TGV et la logique de service public. Le processus d’appels d’offres ouvert deviendra néanmoins obligatoire à compter de 2023. Les régions les plus attachées à l’opérateur historique pourront renouveler leur convention une dernière fois avant cette date, pour une durée de dix ans.

Les « trains d’équilibre du territoire », autrefois appelés Corail, suivent la même procédure mais sont pilotés par l’État, tandis que les grandes lignes seront offertes à la concurrence en « frontal » à partir de 2020. Chaque sillon pourra aller à des entreprises ferroviaires privées, s’agissant dans la plupart des cas de filiales d’entreprises historiques de nos voisins allemand (Deutsche Bahn), italien (Thello, filiale de Trenitalia) ou espagnol (la Renfe). La SNCF a commencé à occuper le terrain en organisant sa propre concurrence via la filiale Ouigo, qui devrait représenter 25 % des circulations en 2020 et pourrait occuper les sillons les plus convoités pour empêcher les entreprises étrangères de s’y installer, en cassant les prix. Les meilleurs sillons pourraient donc, au moins dans un premier temps, basculer en low cost, ce qui fragilisera financièrement SNCF voyages et limitera sa capacité à organiser une péréquation permettant de financer les dessertes les moins rentables par des tarifs plus élevés sur les lignes convoitées.

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Les discussions sont âpres également sur le prix des sillons. Chaque train qui passe s’acquitte en effet d’un péage, facturé par SNCF Réseau, qui entretient les voies. Un document publié par ce dernier prévoit des tarifs préférentiels pour les nouveaux entrants afin de soutenir artificiellement la concurrence. La SNCF devra donc être actrice d’une concurrence déloyale aux dépens d’une filiale du même groupe.

Une telle vision de la concurrence s’attaque directement aux politiques environnementales, comme l’a montré le lobby des entreprises privées du rail, Allrail, qui vient de dénoncer les financements accordés à la Deutsche Bahn par le gouvernement allemand au titre de sa trajectoire de réduction des gaz à effet de serre. Comme ceux de l’Autriche pour la compagnie nationale ÖBB (15 milliards sur quinze ans). Ces aides « sans appel d’offres » sont une atteinte à la concurrence, hurle Allrail.

Les péages devraient également réserver une mauvaise surprise aux régions, qui financent les TER. Il est en effet prévu qu’ils ne puissent pas augmenter plus que l’inflation sur les lignes TGV et le fret, mais ce garde-fou n’a pas été retenu pour les petites lignes TER, ce qui laisse craindre aux syndicats de cheminots une inflation des tarifs des sillons dans les petites lignes, déjà bancales économiquement. Les régions, qui devront passer à la caisse en tant que financeur de ces lignes « conventionnées », voient rouge.

La négociation va bon train également entre le gouvernement, l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer), la SNCF et les futurs concurrents de celle-ci pour établir la liste des informations que la SNCF devra fournir gratuitement à ses concurrents pour qu’ils puissent poser leur candidature aux futurs appels d’offres avec toutes les clés en main. L’entreprise craint une perte de secret industriel et redoute de se faire manger la laine sur le dos, mais le ministère des Transports a durci le ton en la forçant à dévoiler ses données de maintenance et de ressources humaines (ancienneté, masse salariale, etc.) de manière précise.

Enfin, alors qu’aucune compagnie n’est officiellement candidate à la concurrence sur les lignes à grande vitesse, le constructeur Bombardier a pris les devants, comme l’ont découvert avec stupeur les ouvriers du technicentre de maintenance du Landy, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Le constructeur a entrepris les démarches nécessaires pour faire homologuer les trains de sa fabrication circulant sur le réseau italien pour qu’ils puissent circuler sur le réseau français. Une mauvaise surprise pour les cheminots du centre, qui devaient se mettre en grève le 2 octobre pour refuser cette accélération de la concurrence.

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