« Le plus beau métier du monde »

Lui-même documentariste hors-pair, Joseph Beauregard, réalisateur des entretiens pour le webmagazine « Un état du monde et du cinéma », livre les coulisses d’un travail singulier et remarquable.

Jean-Claude Renard  • 8 novembre 2019
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« Le plus beau métier du monde »
© DR

Qu’est-ce qui a présidé à la fabrication de ce webmagazine ?

Cela tient à Michael Swierczynski, que j’ai rencontré quand j’étais au Monde.fr et réalisant alors le webdocumentaire François Duprat, une histoire de l’extrême droite, en 2010. L’INA était alors coproducteur et c’est Michaël Swierczynski qui en avait la responsabilité. On a immédiatement fait bon ménage. Ensuite, il m’a proposé de réaliser de nombreux projets numériques produits par l’INA. Il y a quatre ans, quand Michaël a quitté l’INA, il m’a emmené avec lui dans ses bagages… Lui, devenu directeur délégué au développement numérique au Forum des Images, nous avons conçu ensemble un webmagazine qui accompagnerait, soutiendrait le festival « Un état du monde et du cinéma ». Nous avons défini des thématiques apparaissant récurrentes, obsessionnelles dans le documentaire et la fiction, telles que l’exil, la violence, la religion, l’environnement, les nouvelles technologies et des thématiques qui interrogeraient l’impact des films sur le public et des questions personnelles pour mieux comprendre le travail des réalisateurs, en évoquant leurs premiers films, la question de l’engagement. Nous avions aussi imaginé questionner des personnalités intellectuelles, politiques ou artistiques qui aiment le cinéma. Notre ambition est de mener une réflexion collective qui tenterait de parler du cinéma et du monde, de constituer ainsi une mémoire du cinéma, une mémoire du documentaire, de laisser une trace aux jeunes générations…

En partenariat avec le Forum des Images à Paris, Politis vous propose une série de textes (portrait, entretien...) accompagnée d'un échange filmé avec une personnalité dont le travail questionne le monde, les images et le cinéma.

Le tout en écho avec la programmation du web magazine et du festival Un état du monde…

En quatre ans d’existence, comment a évolué le webmagazine ?

Au commencement, le projet était très modeste. Nous avions des petits moyens et comme je suis toujours intimidé à l’idée de questionner des gens connus, c’est un ami, Pascal Mouneyres, qui s’est chargé de le faire. L’équipe technique est celle mise à ma disposition par le Forum, Sébastien Garcia filme les entretiens, le monteur est Bernhard Wimmer et Corinne Beal, l’adjointe de Michaël, orchestre l’ensemble. Il y a deux ans, Michaël a souhaité repenser le webmagazine et m’a proposé de préparer les entretiens, de questionner les invités, que je sois présent à toutes les étapes. J’ai accepté, en souhaitant ne traiter que les réalisateurs, et à titre exceptionnel, des personnalités politiques ou des intellectuels et uniquement si j’étais la bonne personne pour les questionner.

Comment choisissez-vous les réalisateurs ?

Régulièrement, je propose des noms de réalisateurs à Michaël selon sa filmographie qui me touche, me passionne et correspondant aux enjeux de notre webmagazine. On en discute et jusqu’à présent, il a toujours validé mes choix. Bien entendu, il m’est arrivé d’aller vers des réalisateurs que je connais personnellement et que j’aime beaucoup. Et il m’est arrivé d’aller aussi vers des réalisateurs que je ne connais pas personnellement mais dont j’admire le travail, la démarche, les films. Et ça, c’est génial !

Pour un entretien, avez-vous une méthode de travail ?

A bien des égards, il me semble que j’ai la chance de vivre une expérience singulière. La veille de l’entretien, je m’enferme chez moi, je me coupe du monde, j’éteins le téléphone et je me plonge dans leurs films. Je visionne entre six et sept films, parfois huit, je prends des notes, prépare mes questions. Avec cette expérience, je vois apparaître très nettement l’évolution d’une œuvre, souvent sa très forte cohérence, leurs obsessions. Bien sûr, j’ai un cahier des charges à respecter, ce webmagazine doit être pour les internautes une éducation à l’image et pas un cours magistral destiné à des cinéphiles. Je retiens donc toujours quelques séquences et je leur demande de me raconter comment elle a été fabriquée, réalisée.

L’entretien a lieu dans une salle de cinéma du Forum, le confort est total. De mon côté, j’ai toujours pensé que j’étais complètement nul pour mener des entretiens dans un studio enfermé entre quatre murs et bien, grâce à ce webmagazine, j’ai découvert que je prenais un plaisir fou à questionner, torturer mes collègues. Je n’ai pas fait d’école de cinéma, j’apprends donc mille choses en faisant ces entretiens. Enfin, inévitablement se dessine une fraternité affective et professionnelle, même si chaque réalisateur a sa manière de faire, ses obsessions et son tempérament. L’entretien doit donc être très incarné, vivant et je l’espère, touchant car tous ceux qui défilent devant moi ont cinéma dans le sang…

Quel rapport entretenez-vous avec le montage, essentiel dans la construction de cette série d’entretiens ?

J’adore ce moment où l’on s’enferme dans une pièce, où l’on visionne l’entretien, où l’on fait sa sélection pour construire un récit. Ce moment du montage doit beaucoup au travail de Corinne Beal qui systématiquement sollicite l’accord des producteurs afin que je puisse utiliser des extraits. Ce que j’aime dans ces petits modules qui font entre trois et six minutes, c’est de parvenir à une concision du discours, une limpidité du propos, à faire les bons choix dans les extraits des films tout en parvenant à préserver les émotions ressenties au cours de l’entretien.

Certaines rencontres ont été marquantes ?

Je dis toujours à mes enfants que je fais le plus beau métier du monde. Ce métier me donne la possibilité d’échanger avec des femmes et des hommes exceptionnels. J’ai adoré mes rencontres avec Danielle Arbid, Alice Diop, Abderrahmane Sissako, Stéphane Brizé, Serge Avedikian, Tony Gatlif{: name= »GoBack » target= »blank » }, Mickaël Prazan, Antoine Vitkine, Pierre Scholler, Clément Gogitore, Hubert Charuel, Stéphane Mercurio, Frédéric Brunnquell et Didier Cros. Bientôt, ce sera Ruth Zylberman. A ce jour, je n’ai qu’un seul regret et je sais qu’il demeurera : ne pas pouvoir faire un grand entretien avec Mosco Levi Boucault. Pour moi, ce réalisateur unique a une filmographie exceptionnelle, profonde, stupéfiante. Mais voilà, c’est l’homme invisible, il ne veut pas être filmé… Et il a bien raison !

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Temps de lecture : 5 minutes
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