Les mômes pour le dire

Dans La Dispute, Mohamed El Khatib met en scène six enfants s’exprimant sur le thème du divorce. Une parole riche et libre, souvent inattendue.

Anaïs Heluin  • 27 novembre 2019 abonné·es
Les mômes pour le dire
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En quelques années, Mohamed El Khatib est devenu une figure majeure du paysage théâtral français. Cela depuis son seul-en-scène Finir en beauté (2014), où il racontait le deuil de sa mère à la manière d’un archéologue de l’intime. En questionnant aussi sa relation à sa langue maternelle, l’arabe, et son rapport avec la langue théâtrale très reconnaissable qu’il se forge de création en création.

Soutenues et accueillies par les institutions et les lieux les plus prestigieux, ses pièces, qui traitent de sujets très différents, ont un point commun. Un but, qui est de faire entrer par la scène le spectateur auquel il aimerait s’adresser. Celui qui «ne veut pas venir au théâtre car l’idée ne lui effleure même pas l’esprit de s’asseoir dans un fauteuil et de regarder du théâtre», dit-il en introduction du livre paru aux Solitaires intempestifs à l’occasion de son précédent spectacle, Stadium, où il mettait en scène une soixantaine de supporters du RC Lens.

Créé à l’Espace Cardin dans le cadre du Festival d’automne, La Dispute est né de l’invitation lancée par le Théâtre de la Ville à Mohamed El Khatib : créer un spectacle pour le jeune public, chose inédite pour lui. En rencontrant des enfants, en dialoguant avec eux librement pour se mettre en condition, il a rapidement constaté qu’il ne pourrait répondre à cette attente, que sa manière habituelle d’aborder le plateau ne se prêtait pas à une écriture pour l’enfance. Mais pourquoi pas avec des enfants ? Découvrant chez eux une parole qu’il ne soupçonnait pas, il détourne la commande et poursuit son travail de mise en scène de non-professionnels.

Frappé par la récurrence de la question du divorce dans ses échanges informels, le metteur en scène décide d’y consacrer son spectacle. Comme il le fait remarquer avec malice sur la feuille de salle, La Dispute n’est donc pas du tout une pièce de Marivaux.

Grâce à une scénographie simple, efficace, Mohamed El Khatib place son travail loin de tout pathos. Tapissé de Lego géants, le plateau est, pour les six enfants qui y entrent, un espace non seulement de jeu théâtral, mais aussi, bientôt, de jeu tout court. Où la réalité et la fiction se mêlent dans une structure conçue par le metteur en scène de sorte que chacun sache à quel moment développer quel morceau de son histoire familiale, sans que le récit soit figé par la répétition.

Dans La Dispute, Mohamed El Khatib laisse une fois de plus place à la fragilité. En fanfare ou presque car, avant d’entrer dans le vif du sujet, les enfants écorchent à la flûte à bec le célèbre air de trompette du Festival d’Avignon. Un clin d’œil de l’artiste à une institution théâtrale à laquelle il reproche volontiers son élitisme, son manque de dialogue avec la société française telle qu’elle est : complexe, plurielle, à l’image des jeunes qui livrent au public des bribes de leur vie familiale.

Accompagnés de témoignages vidéo d’autres enfants de leur âge – tous ont entre 8 et 10 ans –, les six bambins de La Dispute disent la séparation de leurs parents sans la réserve des adultes. Et souvent avec une capacité d’analyse et un humour inattendus. Avec un mélange de maturité et de naïveté qui fait toute la saveur de la proposition. De même que la diversité sociale et géographique des enfants choisis par Mohamed El Khatib, qui lui permet de faire cohabiter une grande variété d’expériences et de paroles. Et de créer ainsi un temps de rencontre, de dialogue unique, qui contribue à la réparation des difficultés vécues par chaque enfant. Révolu, le temps des larmes fait place à une joie évidente, à un plaisir d’être au plateau qu’on devine lié au long travail mené en commun, et à la liberté que prend le groupe avec le réel.

En fin de spectacle, l’un des membres du petit collectif confesse par exemple que tout ce qu’il a raconté était faux. Que ses parents ne sont pas divorcés mais que, pour participer au spectacle, il a dû affirmer le contraire à Mohamed. En toute légèreté, La Dispute rend ainsi hommage à l’un des fondements du théâtre : le mensonge.

La Dispute,Mohamed El Khatib, du 8 novembre au 1er décembre à l’Espace Cardin-Théâtre de la Ville (75), le 6 décembre au Théâtre du Beauvaisis (60), du 12 au 14 décembre au CDN d’Orléans (45), le 12 janvier au Théâtre de Choisy-le-Roi (94)… Le reste de la tournée sur www.zirlib.fr

Théâtre
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