Maryline Didier, 58 ans, Infirmière

« La direction nous dit qu’on coûte de l’argent et qu’on se plaint trop. C’est quand même grave. »

Adeline Malnis  • 4 décembre 2019 abonné·es
Maryline Didier, 58 ans, Infirmière
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Maryline Didier est une « infirmière épuisée ». Après quarante ans de bons et loyaux services rendus à l’hôpital public, voilà le message qu’elle avait choisi d’arborer lors de la grande mobilisation des soignants le 14 novembre à Paris. Ce jour-là, cette fervente défenseuse du service public, syndiquée à la CGT, avait traversé la France pour protester contre le délitement des conditions d’exercice d’un métier qu’elle exerce avec passion, mais dans lequel elle ne se reconnaît plus.

Toute sa carrière, Maryline l’a faite à l’hôpital de Romans-sur-Isère (Drôme). Véritable couteau suisse de l’établissement, elle y entre à 18 ans en tant qu’agent de service hospitalier. Passe aide-soignante quelques années plus tard. Puis infirmière. Puis formatrice, avant de revenir assez rapidement aux soins. « Je travaille à l’hôpital de Romans en tant que fonctionnaire depuis 1980. Une carrière d’une traite comme la mienne, ça n’existe plus, je fais partie des dinosaures et des fossiles », ironise cette dynamique infirmière. Un trait d’humour qui cache une lassitude et une certaine consternation face à la situation dans laquelle se trouvent les soignants. « En quarante ans, j’ai vu notre capacité à soigner et nos conditions de travail se dégrader à un tel point… »

Des baisses d’effectifs à la tarification à l’acte en passant par l’augmentation de la charge de travail et la précarisation des agents contractuels, Maryline dépeint la lente agonie de l’hôpital public : « Il y a une dizaine d’années, je suis partie en mission humanitaire dans un hôpital au Cambodge. En voyant les conditions de travail là-bas, je me souviens m’être dit qu’en France on avait de la chance. Quand j’y repense maintenant, je réalise qu’on en est presque au même niveau. » L’infirmière se souvient par exemple de la fois où, à l’hôpital de Romans, il n’y a pas eu d’attelles pendant un mois. Ou encore de celle où il manquait des médicaments parce que la pharmacie n’avait pas été payée… En plus de ces restrictions budgétaires qui l’empêchent de soigner correctement ses patients, Maryline pointe un management agressif, qui ajoute une pression supplémentaire sur des agents déjà exténués par le non-respect des repos réglementaires. Poussés à en faire toujours plus, Maryline et ses collègues sont régulièrement contraints de pratiquer des actes qui sortent de leur champ de compétences, voire du cadre légal. « On nous demande de faire des injections sans nous donner de prescriptions écrites. Mais s’il y a une erreur de dosage, par exemple, c’est notre responsabilité qui est engagée. Par ailleurs, la direction nous dit qu’on coûte de l’argent et qu’on se plaint trop. Une fois, le directeur a osé nous dire que “du temps des religieuses, le personnel était plus souple”_. C’est quand même grave. »_

Pour l’infirmière, la précarisation générale de la société joue elle aussi un rôle dans la détresse des soignants. N’ayant plus ni mutuelle ni les moyens de faire l’avance des frais pour une consultation en ville, une partie de plus en plus importante de la population se rend aux urgences pour bénéficier de soins gratuits, engorgeant de fait les services. Malgré tout, Maryline ne regrette rien : si elle a choisi le service public, c’est parce qu’elle aime l’humain. Mais, aujourd’hui, elle est soulagée de quitter un métier dont les conditions d’exercice sont devenues insupportables. Elle partira à la retraite en juillet prochain et sera donc relativement épargnée par la réforme : « Je suis chanceuse, je suis née en 1962 [seuls les fonctionnaires nés à partir de 1963 devraient être concernés par le changement de système, NDLR], ma retraite sera calculée sur mes six derniers mois de travail, donc je pars avec une pension décente. »

Si l’infirmière s’estime heureuse, elle viendra quand même grossir les rangs des manifestants à Valence le 5 décembre, par solidarité avec ses collègues. « Certains vont devoir partir à 65 ans, moi j’en ai 58, je suis en bonne santé, et déjà je compte les jours. À ce train-là, on va finir par mourir sur notre lieu de travail et, comme ça, plus de retraites à payer : c’est un bon calcul. »

Économie Travail
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