Retraites : une réforme pour moins de justice

Les femmes seront touchées de plein fouet, mais aussi tous les individus dont l’espérance de vie est plus faible.

Sabina Issehnane  • 11 décembre 2019
Partager :
Retraites : une réforme pour moins de justice
© LUDOVIC MARIN / AFP

Lorsque Sibeth Ndiaye, porte-parole du gouvernement, affirme que le nouveau système de retraite sera garant de plus de justice sociale, faut-il la croire ? Rien n’est moins sûr.

Loin de corriger les inégalités de salaire existantes, le système par points conduit à les accentuer. En instaurant un mécanisme qui s’appuie sur une stricte contributivité et en prenant en compte toute la carrière des personnes, il pénalisera celles qui ont subi une discontinuité de l’emploi en raison d’un congé parental, d’une période travaillée à temps partiel ou d’une séquence de chômage. Rappelons que le système actuel s’appuie sur les vingt-cinq meilleures années pour le régime général et les six derniers mois pour les fonctionnaires. Désormais, toutes les périodes seront intégrées, ce qui réduira d’autant la pension de retraite de celles et ceux qui ont eu des carrières heurtées.

Les premières touchées seront les femmes, qui pâtiront également d’une refonte des droits familiaux. La majoration de la durée d’assurance (quatre trimestres pour la grossesse ou l’adoption et quatre trimestres pour l’éducation) attribuée pour chaque enfant dans le régime général sera supprimée. Le nouveau système prévoit une majoration de 5 % par enfant, mais il est fort probable que les couples décident de l’attribuer à celui qui aura la plus forte pension… c’est-à-dire le père.

La décote de 5 % par année manquante accentuera également les inégalités existantes durant la période d’emploi, car elle constitue une double peine pour les personnes qui, ayant eu une carrière incomplète, auront déjà acquis moins de points pour le calcul de leur pension. Les femmes seront touchées de plein fouet, mais aussi tous les individus dont l’espérance de vie, et en particulier celle en bonne santé, est plus faible. Rappelons que l’écart d’espérance de vie à la naissance chez les hommes est de treize ans entre les 5 % les plus riches et les 5 % les plus pauvres. Mais vivre plus longtemps ne signifie pas forcément vivre en bonne santé. En effet, l’espérance de vie sans incapacité en France n’est que de 64,1 ans chez les femmes et de 62,7 ans chez les hommes. Or, cette réforme universelle traite indifféremment les individus, quelle que soit leur catégorie socioprofessionnelle, alors même que les ouvriers vivent moins longtemps et avec plus d’années d’incapacité que les cadres !

Prétendre que l’universalité est garante de plus d’égalité, c’est oublier que les conditions de travail sont loin d’être identiques. Au lieu de jeter l’opprobre sur certains régimes spéciaux, comment le nouveau régime compte-t-il prendre véritablement en compte la pénibilité du travail en permettant à ceux qui y sont exposés un départ plus précoce ?

Cette réforme aboutira à plus d’inégalités, mais aussi, et avant tout, à moins de revenus pour tous. François Fillon l’affirmait mieux que personne lors d’une conférence de la Fondation Concorde organisée le 10 mars 2018  : « Le système par points, ça permet une chose qu’aucun homme politique n’avouera, qui est de baisser la valeur du point chaque année et donc de diminuer le niveau des pensions. »

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

À Marseille, l’infatigable combat des femmes de chambre du Radisson Blu
Reportage 26 juillet 2024 abonné·es

À Marseille, l’infatigable combat des femmes de chambre du Radisson Blu

Depuis deux mois, les femmes de chambre de l’hôtel haut de gamme marseillais sont en grève. Elles demandent une hausse de salaire, une prime pénibilité et de meilleures conditions de travail. Mais leur employeur, sous-traitant de l’hôtellerie, fait la sourde oreille en pleine saison touristique.
Par Étienne Bonnot
Gouverner dans le chaos
Chronique 24 juillet 2024

Gouverner dans le chaos

Il faut sortir de l’instabilité créée en permanence par le chef de l’État, tout en résistant à la peste émotionnelle qui alimente le Rassemblement national.
Par Jérôme Gleizes
Mort à l’Assemblée nationale : « Nous devons et nous allons rendre hommage à Moussa Sylla »
Entretien 23 juillet 2024 abonné·es

Mort à l’Assemblée nationale : « Nous devons et nous allons rendre hommage à Moussa Sylla »

Fraîchement élue première vice-présidente de l’Assemblée nationale, la députée LFI du Val-de-Marne, Clémence Guetté, a tenu à réagir aux révélations de Politis sur les circonstances de l’accident de travail de Moussa Sylla.
Par Pierre Jequier-Zalc
Mort de Moussa Sylla à l’Assemblée nationale : l’enquête met en cause le sous-traitant
Travail 23 juillet 2024 abonné·es

Mort de Moussa Sylla à l’Assemblée nationale : l’enquête met en cause le sous-traitant

Le deuxième anniversaire de la mort de Moussa Sylla, travailleur pour Europ Net, décédé dans un sous-sol de l’Assemblée nationale, a été réduit au silence par la dissolution. Politis dévoile en exclusivité les premiers éléments d’une enquête qui s’éternise.
Par Pierre Jequier-Zalc