Retraites : six vérités très bonnes à dire

La réforme des retraites est fondée sur des partis pris discutables et une orientation politique qui ne dit pas son nom.

Erwan Manac'h  • 29 janvier 2020 abonné·es
Retraites : six vérités très bonnes à dire
© Dans la manifestation du 24 janvier, à Paris.Jerome Gilles/NurPhoto/AFP

Des comptes dans le rouge, un équilibre démographique instable, une pression fiscale insupportable… Le gouvernement avance sa réforme des retraites avec un bouquet de fausses évidences sur les lacunes du système actuel. Pourtant, beaucoup de ces présupposés sont contestables et masquent une volonté de réduire le poids financier du système de retraite par répartition.

1/ Ce sont les politiques libérales qui ont mis les retraites dans le rouge

C’est entendu, le régime des retraites accusera en 2025 un déficit compris entre 7,9 et 17,2 milliards d’euros. Une somme qu’il faudra trouver en travaillant plus longtemps, selon des modalités que la conférence de financement devra définir avant l’été.

Pourtant, cette ardoise mérite bien des commentaires. Elle résulte en grande partie de la diminution du nombre de fonctionnaires et du gel de leur salaire depuis dix ans, qui induisent mécaniquement une perte de cotisations. De la même manière, les lois sociales des dernières années, toutes tendues vers la recherche d’une « modération salariale », ont pénalisé les comptes de la Sécurité sociale. Selon les calculs de la Cour des comptes, le ralentissement des salaires en 2019 fait perdre 1 milliard d’euros de recettes au système dans son ensemble (1).

Les gouvernements successifs ont aussi été généreux en allégements de cotisations sociales patronales. La Cour des comptes comptabilisait en octobre un cadeau de 66 milliards d’euros en 2018, en augmentation de 100 % depuis 2013. Cette manne manque aux régimes obligatoires de base de sécurité sociale et du fonds de solidarité vieillesse (FSV), mais elle a été compensée financièrement par l’État, comme la loi l’impose depuis 1994. Or ce principe a volé en éclats fin 2018. Le gouvernement d’Édouard Philippe s’est octroyé une dérogation. 1,6 milliard d’euros n’ont pas été compensés en 2019 et il manquera 3 milliards d’euros aux comptes sociaux en 2020. De quoi préparer les dettes futures dans les budgets sociaux, qui justifieront les contre-réformes libérales.

La réforme présentée à l’Assemblée comporte de nombreuses interrogations sur le volet recettes. Le plafonnement des cotisations des hauts revenus fera perdre 3,7 milliards d’euros de recettes au régime pendant la transition et un énorme doute subsiste sur les cotisations de la fonction publique. En alignant le taux de cotisation patronale très élevé du public (74 % pour l’État, 30 % pour l’hôpital et les collectivités) sur le taux du privé, la perte de recette du régime de retraite sera de 45,9 milliards d’euros par an, selon l’étude d’impact. Le gouvernement prévoit, à en croire le projet de loi, de « maintenir en 2025 au même niveau la contribution globale de l’État au système de retraite ». Rien n’est indiqué sur la forme que prendra cette compensation et sur ce qui adviendra après 2025.

Tout compte fait, l’étude d’impact table bel et bien sur une diminution du poids du régime de retraites dans notre économie, alors que le gouvernement se cantonnait jusqu’à présent à l’idée d’un plafonnement à hauteur de 14 % du PIB. Le texte estime que la réforme fera maigrir le régime à 12,9 % d’ici à 2050.

2 /Remettre le système d’aplomb ne coûterait pas si cher

C’est le Conseil d’orientation des retraites qui l’écrit : il faudrait augmenter les cotisations de 1 point sur cinq ans, soit 0,2 point par an, pour résorber le déficit qui apparaîtrait en 2025. Le gouvernement refuse pourtant catégoriquement d’actionner ce levier.

D’autres solutions existent. Une lutte efficace contre le travail dissimulé permettrait de remettre la main sur 18 à 23 milliards d’euros (2). La fin des inégalités salariales entre les femmes et les hommes, par le haut, renflouerait le régime des retraites de 11 milliards d’euros par an. Bercy pourrait également renoncer à tout ou partie des 53 milliards d’euros d’exonération de cotisations sociales jugées inefficaces dans un rapport de l’Inspection des finances en 2011. Cela permettrait de renflouer le régime uniquement par un recours aux cotisations, ce qui a son importance aux yeux d’une partie des économistes, qui rappellent que les retraites représentent un « salaire différé », soutenu par et pour les personnes en emploi.

D’autres, à gauche, proposent un changement de philosophie et ne rechignent pas à l’idée de solliciter l’impôt. Que ce soit par une taxe sur les transactions financières, une lutte efficace contre l’évasion fiscale, le retour de l’ISF ou l’annulation de la baisse du taux d’impôt sur les sociétés (11 -milliards), qui -suffirait à elle seule à effacer la quasi-totalité de l’ardoise du régime des retraites.

3/ Sur le temps long, le régime des retraites n’est pas déséquilibré

À moyen terme, la pyramide des âges va sérieusement vaciller, en raison de l’arrivée des baby-boomersà la retraite. En 2060, le nombre de personnes âgées de 60 ans et plus pourrait augmenter de 80 % par rapport à 2007, prévoit l’Insee. Toutefois, cette augmentation devrait être plus modérée à partir de 2035. Le régime des retraites restera donc sous contrôle une fois « l’empreinte des grands chocs démographiques passés ». Autrement dit, les grands déséquilibres démographiques qui affectent le régime des retraites devraient être derrière nous dans une quinzaine d’années.

Comment passer ce cap sans dommage ? Le problème est en réalité déjà réglé par les efforts demandés à la population lors des précédentes réformes des retraites. La loi Touraine de 2014 prévoyait notamment un allongement progressif de la durée de cotisation. Les prévisions du Conseil d’orientation des retraites sont limpides : sans qu’il y ait besoin de réforme « paramétrique » ou « systémique », la trajectoire actuelle du régime des retraites rejoindra tranquillement l’équilibre en 2042. Ce retour dans le vert devait même se produire dès 2036 selon ses estimations de 2018, avant que les ressources ne soient amputées par les effets de la politique du gouvernement.

4/ Le système par répartition est le seul qui résiste aux crises

Plusieurs effets de la réforme des retraites devraient entraîner une montée en puissance des retraites par capitalisation (chacun cotise pour soi-même). La loi Pacte a préparé le terrain et l’article 65 du projet de loi appelle « le secteur de l’assurance […] à se mobiliser, afin que le recours à ces véhicules [d’épargne privée] se généralise ». Or le système par capitalisation est plus exposé aux risques économiques.

C’est l’une des raisons qui ont plaidé, en 1944, pour l’instauration d’un régime par répartition (les actifs cotisent pour les retraités). Les premiers régimes de retraite préféraient la capitalisation à partir de 1910, mais la mobilisation des hommes au front lors de la Première Guerre mondiale, l’inflation incontrôlable puis la crise financière de 1929 ont mis au jour les failles béantes de ce système. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, dans un pays ruiné, l’unique moyen de financer les retraites était de faire cotiser les actifs, sur un principe de répartition.

L’idée de départ était d’ailleurs de généraliser les régimes pionniers qui existaient déjà dans certaines professions, comme les cheminots. Mais la disette généralisée n’a pas permis un alignement par le haut et le régime général a été mis sur orbite dans des conditions moins avantageuses que ces régimes pionniers, qu’on a progressivement qualifiés de « spéciaux ».

5/ L’espérance de vie augmente moins vite aujourd’hui

Le débat sur l’espérance de vie regroupe des notions très disparates qui méritent d’être traitées avec précaution. L’espérance de vie à la naissance (85,3 ans pour les femmes et 79,4 ans pour les hommes) connaît une stagnation depuis une dizaine d’années. Elle a même légèrement reculé selon les données de l’Insee en 2015 en raison d’un « épisode grippal sévère », d’une forte canicule et d’une -importante vague de froid cette année-là. L’espérance de vie en bonne santé (64,5 ans pour les femmes et 63,4 ans pour les hommes) est quant à elle globalement stable depuis la création de l’indicateur en 2004, tandis que les chiffres de l’espérance de vie à l’âge de 35 ans montrent que les 5 % les plus riches vivent en moyenne treize ans de plus que les 5 % les plus pauvres. D’où l’injustice, relevée par tous les syndicats, de mettre en place une mesure d’âge qui sera la même pour tous, sans considération pour ces différences statistiques.

6/ Moins du tiers des plus de 60 ans ont un travail

Pour travailler plus longtemps, encore faut-il avoir un travail. Le taux d’activité des 60-64 ans plafonne à 31 %, ce qui s’explique en partie par l’importance des mesures de départ en retraite anticipée, qui concerne un retraité sur deux en 2017, soit 400 000 personnes. Le recul de l’âge légal de départ et les restrictions aux mesures de cessation anticipée d’activité ont fait progresser ce chiffre ces dernières années. Mais cela s’accompagne d’une hausse du chômage des seniors, passé de 4,3 % en 2007 à 6,5 % en 2018. « Le nombre moyen de demandeurs d’emploi seniors inscrits à Pôle emploi en catégorie A [recherchant un emploi à plein temps] a triplé depuis 2008 », écrivait la Cour des comptes en octobre.

Enfin, à 60 ans, 28 % des personnes ne sont ni en emploi ni à la retraite sur la période de 2016 à 2018. Depuis 2009, les budgets dédiés au RSA pour les 60 à 64 ans ont crû de 157 % sous l’effet de l’arrivée d’une importante cohorte de baby-boomers, mais pas seulement. Selon la Cour des comptes, cette hausse « tient tout particulièrement au segment des personnes âgées de 60 et 61 ans, les âges clés directement affectés par les mesures de report de l’âge légal de liquidation des droits à la retraite ».

Un point qui n’a pas échappé au Conseil d’État, qui recommande dans son avis sur la réforme des retraites de mieux évaluer l’impact d’un recul de l’âge d’équilibre sur les comptes de l’Assurance chômage, « compte tenu du faible taux d’emploi des plus de 65 ans et des dépenses des minima sociaux ».

(1) La progression de la masse salariale globale en 2019 est estimée à 3 %, contre 3,5 % en 2018.

(2) Sur un total de 20 à 25 milliards d’euros de fraude aux cotisations sociales selon la Cour des comptes, comme le rappelle Solidaires-Finances publiques dans une série de cinq communiqués sur le financement des retraites.

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