Etats-Unis : la santé mise à nu avec le Covid-19

Le coronavirus met en lumière les graves défaillances du système de santé, peu préparé à faire face à une crise de l’ampleur du Covid-19.

Alexis Buisson  • 16 mars 2020
Partager :
Etats-Unis : la santé mise à nu avec le Covid-19
© Photo : JOSH EDELSON / AFP

Pour la première grande crise sanitaire de sa présidence, Donald Trump n’impressionne guère. Après avoir minimisé le Covid-19, l’assimilant à une grippe et disputant les chiffres officiels des malades sur la seule base de son « intuition », il a opéré, mercredi 11 mars, un revirement total.

Dans l’ambiance solennelle du bureau ovale, il a décrété l’interdiction d’entrée sur le territoire pour les voyageurs étrangers en provenance de l’espace Schengen, dont la France. Deux jours plus tard, il déclarait l’état d’urgence au niveau national, ouvrant la voie à des financements supplémentaires pour soutenir les États confrontés à la pandémie et accroître les dépistages.

Mais les tergiversations de Donald Trump ne sont pas le seul problème. Avec 28 millions de non-assurés, des coûts de santé très élevés, des niveaux de préparation variables d’un hôpital ou d’une maison de retraite à l’autre : le Covid-19 a révélé les défaillances du système de santé américain, dont la réforme est un enjeu majeur de la campagne présidentielle de 2020. Au cœur des critiques : le manque de kits de dépistage, qui pourrait expliquer le faible nombre officiel de contaminations (41 morts et 1 629 malades le 13 mars) enregistrées par les Centers for Disease Control and Prevention (CDC), l’agence sanitaire américaine.

Selon une estimation du magazine The Atlantic, seuls 4 384 Américains avaient été testés à la date du 9 mars (contre 100 000 Sud-Coréens au même moment). Un faible nombre qui s’explique par les barrières réglementaires, le coût élevé des examens et les restrictions imposées sur ceux qui voulaient s’y soumettre. Ainsi de nombreux individus ont-ils été éconduits au motif qu’ils n’avaient pas voyagé dans une zone à risque ou que leurs symptômes n’étaient pas assez prononcés. Et certains hôpitaux, situés en milieu rural, n’avaient tout simplement pas de kits de dépistage.

L’inquiétude sur la disponibilité de lits, de masques et d’appareils respiratoires persiste aussi. « Le système de santé n’a pas la capacité ou la résilience de gérer une augmentation soudaine du nombre de malades. Le nombre de lits disponibles dans les unités de soins intensifs aux États-Unis est au nombre de quelques centaines voire d’un petit millier. Il ne faut pas beaucoup de malades pour mettre la pression sur le système », raconte Tara O’Toole, ancienne sous-secrétaire à la Science et à la Technologie, lors d’une conférence, vendredi 13 mars, au Council on Foreign Relations (CFR).

Le problème ne date pas de Donald Trump. Le financement des programmes de gestion des urgences sanitaires par l’État fédéral est passé de 1,4 milliard de dollars en 2003 à 662 millions en 2020, un phénomène symptomatique du manque d’intérêt des gouvernements successifs pour ce genre de risque. En 2018, le gouvernement Trump a mis un terme à l’agence chargée de la réponse aux pandémies créée sous Barack Obama après Ebola – Trump s’est défendu en disant qu’il n’était pas au courant. Fin 2019, il a aussi mis fin discrètement à un programme nommé « Predict », qui permettait d’étudier la transmission aux êtres humains de maladies animales, comme le Covid-19, le H1N1 ou encore le Sras. Ce genre de maladies est de plus en plus fréquent.

En pleine campagne présidentielle, le coronavirus a propulsé le thème de la prévention des pandémies sur le devant de la scène. Candidat à l’investiture démocrate, Bernie Sanders en profite pour insister sur l’importance de sa promesse-phare – l’instauration d’une couverture médicale universelle – pour permettre à tous les Américains d’être dépistés voire hospitalisés sans facture prohibitive à la clé. Tout comme son rival à l’investiture, l’ancien vice-président Joe Biden, il veut inscrire le dispositif des congés maladie payés dans la loi fédérale pour épargner aux employés malades la pression de devoir se rendre au travail. Aux États-Unis, ce dispositif n’est pas garanti au niveau national.

Pour Tara O’Toole, le système actuel ne permet pas « la vitesse » requise pour détecter les pandémies. « Nous avons 3 000 agences de santé publique au niveau des États et des villes. Elles n’ont pas assez de ressources et ne sont pas coordonnées comme elles le devraient. Les CDC et les laboratoires publics n’ont pas non plus de moyens suffisants, poursuit-elle. Nous devons revoir la manière dont les États-Unis font des diagnostics, notamment pour donner la possibilité à chacun de les effectuer chez soi. La santé publique n’a pas innové autant que le secteur privé dans ce domaine. »

Monde
Temps de lecture : 4 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Ambitions internationales et continentales : l’avenir de l’Algérie se joue aujourd’hui
Monde 25 avril 2025

Ambitions internationales et continentales : l’avenir de l’Algérie se joue aujourd’hui

Comment se positionne l’Algérie dans la recomposition du monde ? Comme de nombreux pays européens et africains, avec ses forces et ses faiblesses, l’Algérie cherche sa place.
Par Pablo Pillaud-Vivien
En Cisjordanie occupée, la crainte d’une « nouvelle Nakba »
Reportage 23 avril 2025 abonné·es

En Cisjordanie occupée, la crainte d’une « nouvelle Nakba »

Depuis le début de la guerre, les raids de l’armée israélienne s’intensifient dans le nord du territoire occupé. Dans les camps de réfugiés palestiniens de Jénine et Tulkarem, près de 50 000 personnes ont été poussées hors de leurs maisons, sans possibilité de retour. À Naplouse, les habitants craignent de subir le même sort.
Par Louis Witter
« Israël est passé d’une ethnocratie à une dictature fasciste »
Entretien 23 avril 2025 abonné·es

« Israël est passé d’une ethnocratie à une dictature fasciste »

Le député communiste de la Knesset Ofer Cassif revient sur l’annexion de la Cisjordanie, le génocide à Gaza et l’évolution de la société israélienne.
Par Louis Witter
L’État binational, une idée juive
Analyse 23 avril 2025 abonné·es

L’État binational, une idée juive

L’idée d’un État commun a été défendue dès 1925, par l’organisation Brit Shalom et par des prestigieux penseurs juifs, avant de s’évanouir au profit d’une solution à deux États. Mais cette dernière piste est devenue « impraticable » au regard de la violente colonisation perpétrée à Gaza et dans les territoires palestiniens occupés aujourd’hui. Quelle autre solution reste-t-il ?
Par Denis Sieffert